Billet de Bamako #2 : La sécurité du voyageur au Mali

par | 23 Nov 2015 | Mali

Joël a écrit ce texte avant le terrible événement qui s’est produit tout récemment à Bamako. Malgré le contexte sécuritaire qui a changé, j’ai quand même décidé de publier ce billet. Voyager dans un pays instable est possible mais il faut être conscient que la situation peut se dégrader très rapidement. Toutefois, comme nous l’avons vu le week-end dernier à Paris, dans n’importe quel contexte, la situation peut virer au cauchemar. Personne ne pouvait prévoir ce qui s’est passé. Cela signifie-t-il qu’il faut rester enfermé chez soi et ne plus bouger ? Au contraire, continuons à vivre mais soyons conscients et préparés en cas d’effondrement de la normalité. Les événements qui sont en train de se passer partout dans le monde sont tragiques et sèment la tristesse, le désarroi et la souffrance dans de nombreuses familles. La violence et la peur prennent le contrôle de nos pensées, de nos actes, de nos propos… Nous ne devons pas nous laisser emporter dans ce tourbillon et garder un certain recul, l’œil ouvert, conscient des mutations qui sont en train de se produire. Alors, oui, j’ai décidé de publier cet article car il vaut tant pour le Mali que pour Paris ou le Liban…

On me demande si on peut voyager sereinement au Mali. Oui… et non. Ça dépend de pas mal de facteurs.

Ella Maillard écrivait que là où vivent des hommes, peuvent vivre des voyageurs. L’aventurière suisse, solide, audacieuse, courageuse et déterminée, fait partie de ces exploratrices d’une autre époque qui n’avait pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, froid aux yeux.

Bamako_Mali

Au-delà de savoir si l’on peut juste se déplacer et vivre en un lieu, il y a cette notion subjective de voyage « serein et agréable ». Cette balance entre plaisir et sécurité est propre à chacun et à chaque situation de voyageur, un équilibre à établir individuellement en fonction de ses propres besoins. Certains peuvent se sentir à l’aise au Honduras, un des pays les moins sûrs du monde, tandis que d’autres ne pourraient même pas envisager d’y mettre les pieds. Puis, et là c’est encore une autre histoire, il y a voyager avec des enfants, qui suscite un besoin accru de sécurité pour la plupart des parents nomades. Enfin, et je terminerai avec ce point, il y a la question sécuritaire certes, mais il ne faut certainement pas négliger l’aspect sanitaire quand vous préparez vos voyages au long cours.

Peut-on voyager serein au Mali ?

Il y a quelques jours, je me suis rendu au Sleeping Camel, un bar bien connu de la plupart des expatriés de Bamako, et j’y ai fait la connaissance de Cathy, une jeune anglaise. Au Camel, comme disent les habitués, se croisent des employés d’ONG ou des institutions internationales, ainsi que les quelques très rares voyageurs occidentaux qui optent encore pour le Mali. Ces derniers sont devenus assez frileux depuis les attentats survenus ces derniers mois et notamment celui qui frappa le café La terrasse dans le centre-ville le 7 mars 2015. Pour rappel, des assaillants y avaient ouvert le feu peu après minuit. Un Belge, un Français et trois Maliens périrent et neuf autres personnes, dont trois Suisses, furent blessées. Cathy travaille pour une ONG du Royaume-Uni qui s’occupe du développement en milieu rural. Affectée au bureau central de Bamako, elle tient depuis son arrivée, il y a 8 mois, une page sur laquelle elle partage ses impressions maliennes. La politique de son employeur est de garder les expatriés au siège de l’organisation dans la capitale et de déléguer les déplacements et missions dans le pays à des collaborateurs locaux. Cathy n’a donc jamais quitté la plus grande ville du pays. Elle conseillait dernièrement à ses connaissances et autres lecteurs de venir au Mali, qu’on s’y sent en sécurité et qu’on peut à nouveau voyager dans le pays, que les enfants sont les bienvenus et que les médias exagèrent sensiblement la situation. S’en est suivi, entre elle et moi, une discussion quelque peu houleuse à propos du danger de tenir ce genre de propos sans une réelle connaissance de la réalité de terrain.

Bamako, Mali

J’ai passé le premier mois de ma mission à Bamako. J’ai eu l’occasion de me déplacer dans un rayon de 150 kilomètres autour de la ville. En plus d’être en contact avec des collègues qui travaillent dans le Nord (Mopti, Gao, Kidal, Tessalit, Ansongo, Tombouctou), j’ai également accès à tous les rapports d’incidents sécuritaires de l’ONU pour tout le pays. Il faut être clair : une grande partie du Mali est à totalement proscrire de tout projet de voyage sensé. Le Nord est sans aucun doute une des régions les plus dangereuses au monde à l’heure actuelle. Et ce sans entrer dans la paranoïa. Il faudrait être totalement inconscient pour en tenter la traversée terrestre, et a fortiori avec des enfants. Pas une semaine ne se passe sans qu’une attaque armée, une explosion de mine ou d’engin improvisé ou un kidnapping ne grossisse les statistiques de la police et des Casques bleus déployés dans cette vaste région désertique.

Et malheureusement, en terme de superficie, la région temporairement infréquentable est plus vaste que la région que l’on peut encore envisager d’arpenter au Mali.

Entreprendre des déplacements jusqu’à Mopti, 630 km au nord-ouest de Bamako, jusqu’au « goulot », est tout à fait possible, et ce même sans escorte armée. Au-delà de cette ligne imaginaire, la qualité du réseau routier devient plus qu’aléatoire, les pistes remplaçant progressivement les axes goudronnés pour finir par disparaître complètement aux portes du désert. La sécurité suit ce même schéma en devenant toujours plus précaire, plus vous vous dirigez vers le Nord. Votre intégrité physique sur ces terres de légendes sahéliennes se verrait menacée par les risques cités plus haut, ainsi que celle de ceux qui vous accompagneraient.

Où aller alors ?

Toutes les directions au sud et à l’ouest de Bamako sont envisageables sans soucis particuliers. Il s’agit toutefois de respecter les consignes habituelles teintées de bon sens et connues de tout voyageur averti. Donc, rejoindre par la route le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée ou le Sénégal est tout à fait faisable et constitue certainement de belles aventures, même avec des petits. Il existe toujours une liaison de train qui relie Bamako à Dakar partiellement opérationnelle. Le Dakar-Bamako (Koulikoro) est un train de légende construit par l’administration coloniale française à la fin du XIXe. Cette ligne mesure au total 1.287 km dont 641 km s’étendent au Mali. En octobre 2003, les gouvernements du Sénégal et du Mali ont confié la gestion du réseau à un consortium franco-canadien, puis à une firme belge à partir de 2007. Le service voyageur se résumait à une liaison Dakar-Bamako aller et retour par semaine à une vitesse maximum de 65 km/h. Mais malheureusement, suite à la faillite de l’entreprise, la liaison s’est arrêtée en mai 2010. Il n’est actuellement plus possible que de réaliser le tronçon Bamako-Kayes (environ 450 km au nord-ouest de Bamako), comptez 19h de voyage tout de même à cause des nombreux et longs arrêts. Si vous séjournez à Bamako, passez par la gare située dans le centre-ville, c’est un lieu qui vaut une visite.

Dans les campagnes du Mali

Et Bamako, sûre ou pas ?

Depuis l’attentat sanglant de mars dernier, il n’y a plus eu, à Bamako, d’agression particulière envers les expatriés. Pas de psychose donc, il réside ici le même niveau de menace que dans nos villes européennes ces dernières années. (Malheureusement, une semaine à peine après avoir écrit ces lignes sont survenues les attaques de Paris et ensuite la prise d’otages à Bamako.) Ceci dit, Bamako est loin d’être la ville la plus agréable d’Afrique. Elle est sale, chaotique, peu ou pas d’endroits où flâner. La circulation y est un calvaire et un danger permanent, où l’on risque réellement sa vie en tant que piéton. Son marché n’a rien de plaisant et chaque déplacement dans la ville s’effectue par nécessité et sans traîner. Elle n’a pas de charme particulier et je ne peux pas dire, en dépit de la sympathie de certains de ses habitants, qu’elle ait une âme rapidement perceptible, comme certains autres endroits d’Afrique ou du Monde. Pour s’échapper de l’ambiance bruyante et très polluée de la ville, il y a bien Le Campement, sorte de havre de paix situé à une trentaine de kilomètres de la ville et où vous serez certain de rencontrer le week-end quelques expatriés autour de la piscine en train de profiter du calme et de la fraîcheur avec leurs enfants. À part cela, les distractions ne sont pas légion à Bamako, il y a quelques restaurants, une grotte avec une réplique usée de dinosaure, un parc tristounet, les rives du fleuve Niger, mais ça s’arrête plus ou moins là.

Rives du fleuve Niger, Bamako, Mali

Les lignes régulières, telle que Air France, desservent Bamako, pas de problème pour s’y rendre. De nombreux taxis vous permettent de relier le centre.

En résumé : y séjourner quelques jours dans un des hôtels listés par l’ONU comme étant sûrs et démarrer ensuite pour un voyage terrestre vers l’Ouest ou le Sud à la découverte de cette exaltante Afrique de l’Ouest, pourquoi pas ? Mais, pour l’instant, oubliez l’idée de visiter la légendaire Tombouctou et sa mosquée Djingareyber, ainsi que toute la région avoisinante, ça ce sera pour quand la guerre dans le Nord sera terminée, et à ce jour, on est encore loin de ce dénouement heureux.

Bamako, Mali

Ma mission et mon voyage se poursuivent

Le fleuve Niger quitte Bamako pour serpenter vers Tombouctou, puis amorce un large virage vers le sud-ouest pour bercer, après un voyage de plus de 2.000km, Niamey, la capitale du pays et également fille du fleuve éponyme. Ma cohabitation avec ce majestueux cours d’eau se poursuit donc plus à l’Est, car je passe actuellement un mois dans la capitale du Niger.

À suivre dans un prochain billet.

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