Lectures danoises : Jepsen et Davidsen

par | 22 Avr 2015 | Un livre pour la route

Lorsque je pars découvrir un pays, j’aime me plonger dans sa littérature. De la littérature danoise, je ne connaissais que les classiques Hans Christian Andersen et Karen Blixen. Avant de partir, je me suis donc quelque peu renseignée sur les écrivains du pays et ai porté mon choix sur deux auteurs contemporains : Erling Jepsen et Leif Davidsen.

 

Lectures danoises Erling Jepsen, L'art de pleurer en choeurL’art de pleurer en chœur, Erling Jepsen

 

Né en 1956 dans le sud du Jutland, Erling Jepsen est un romancier et dramaturge reconnu au Danemark. Seuls deux de ses romans ont été traduits en français chez Sabine Wespieser : L’art de pleurer en chœur et Sincères condoléances.

L’art de pleurer en chœur, une histoire très noire narrée par un petit gars de 11 ans qui, dans son village du sud du Danemark, essaye tant bien que mal de conserver l’équilibre au sein de sa famille sans avoir réellement conscience de ce qui se passe ou de ce qu’il provoque en agissant ainsi. Le narrateur, jamais nommé, essaye, à son échelle, de résoudre les problèmes des adultes. Les comptes de la petite épicerie familiale sont au plus bas. Mais, lorsque son père, excellent orateur funèbre, prend la parole lors des enterrements et fait pleurer les gens, miraculeusement l’argent rentre et tout le monde va mieux à la maison. Pour l’enfant, il faut qu’il y ait des morts dans le village pour que son père soit bien, il sait qu’il a lui-même un rôle important à jouer lors de ces enterrements et que, si son père ne va pas bien, il faut envoyer sa grande sœur, Sanne, dormir avec lui dans le canapé du salon. Pour lui, tout semble normal et naturel. Mais, on sent l’angoisse et le poids du silence dans cette maison. La peur et l’angoisse de la mère qui préfère se taire et fermer les yeux et les exprimer en tordant les torchons de la cuisine. La haine, presque démente, de la grande sœur qui se venge du père. L’éloignement du grand frère. Plus on avance dans le roman, plus on ressent cette atmosphère malsaine.

Erling Jepsen utilise un style propre à un enfant de 11 ans tout en y introduisant des implicites. Par contre, je trouve que le regard porté par cet enfant relève plus d’un enfant de 7/8 ans que d’un enfant de 11 ans. J’ai été parfois gênée par ce décalage en me disant que cet enfant était bien naïf pour son âge. Il est effectivement naïf et éprouve une admiration mêlée à de la pitié pour son père. Sans que cela soit dit ouvertement. Au fil de ma lecture, légère au début, j’ai commencé à m’énerver contre cet enfant, à me révolter contre cette mère, à m’indigner contre cette société où il suffit de présenter ses excuses et faire acte de contrition face à un scandale. J’ai été écœurée par cette famille.

L’air de rien, L’art de pleurer en chœur est un roman noir, triste, dur et révoltant. Le côté enfantin du style fait plus facilement passer la pilule tout en y ajoutant une dimension dramatique supplémentaire. Une plongée dans la société danoise des années 60, une société hypocrite et des apparences, une société en mutation où il faut se moderniser pour survivre. Plus anecdotique dans le roman, mais toutefois à l’image du pays et un reflet de l’ambiance du roman, ce passage qui évoque le paysage danois :

« Je suis sur le point de lui faire un signe de la main, mais il ne vaut mieux pas, on roule beaucoup trop vite, et malgré ça j’ai l’impression qu’on n’avance pas. Je pense que c’est parce que partout où on regarde on voit la même chose, des champs et encore des champs. Mais là d’où je viens c’est comme ça ; et c’est très bien. On peut s’asseoir et se plonger dans ses pensées, ou regarder les nuages. Les nuages sont ce qu’on voit le mieux dans ce plat pays, il n’y a pas grand chose d’autre pour se distraire. Aujourd’hui, il n’y en a pas beaucoup, alors il vaut mieux éviter de regarder en l’air, parce qu’on ne peut se raccrocher à rien et on a l’impression qu’on va disparaître dans l’univers d’un moment à l’autre. A part qu’on ne disparaît pas. On reste exactement où on est. Et ça on peut en être sûr. » (p. 269)

L’art de pleurer en chœur, Erling Jepsen, traduit du danois par Caroline Berg, Sabine Wespieser éditeur, 2010

 

Lectures danoises, Leif Davidsen, Le gardien de mon frèreLe gardien de mon frère, Leif Davidsen

 

Leif Davidsen, né en 1950 en Fionie, est surtout connu comme auteur de roman policier. Il a d’abord exercé le métier de reporter, principalement en Russie et dans les pays de l’Est, avant de se consacrer entièrement à la littérature. Il a tiré de son expérience russe trois romans, la Trilogie russe : La Chanteuse russe, Le Dernier espion et Un Russe candide. 

Fin des années 30, Magnus Meyer revient de son exil en Amérique suite à l’appel à l’aide de sa sœur. Leur plus jeune frère, Mads, s’est enrôlé dans les Brigades internationales pour lutter contre Franco et les fascistes et elle lui demande de le ramener sain et sauf à la maison. Commence alors pour Magnus un long périple qui le conduira sur le front en Espagne, à la recherche de son frère, et dans la Russie communiste de Staline, à la recherche de la femme de sa vie. Le gardien de mon frère est un grand roman, une fresque de cette guerre civile qui déchira l’Espagne, un témoignage de l’écart entre l’idéal communiste et le régime en place. Une histoire bouleversante qui fait froid dans le dos, des tragédies humaines qui n’ont même pas 100 ans. Tant de civils tués, d’idéaux brisés, d’injustice, de folie ! Magnus vit la vie de reporter de guerre et témoigne de cette guerre menée par les républicains et perdue d’avance. Mais, dans ce chaos, Magnus rencontre l’amour, le vrai, celui qui vous marque à vie. Un roman de guerre, un roman d’amour. Magnus nous livre cette histoire alors qu’il sent qu’il approche de la mort. Une vie consacrée à son pays et à des œuvres de bienfaisance. Mais une vie tragique, pleine de secrets bien gardés, une vie passée à réparer le passé. Bien que l’essentiel de l’action de ce roman se situe en Espagne, Leif Davidsen nous livre un témoignage sur la mentalité danoise de l’époque, entre les conservateurs qui prônent une politique de non-intervention et les communistes qui s’engagent par idéal dans un conflit qui les dépasse. Une façon de découvrir le rôle joué par le Danemark dans cette période historique agitée.

Ce roman, au style dynamique et bien documenté, je l’ai adoré. De par le sujet. La guerre d’Espagne, le communisme, les faux-procès sous Staline, l’amour impossible. De par son rythme et le traitement des personnages. Des tempéraments différents qui permettent de varier les points de vue. L’instinct de survie face à l’idéal mortifère. L’engagement plein et conscient face au recul individualiste. Leif Davidsen nous offre un roman d’aventures, un roman tragique, la solitude au bout du chemin.

Le gardien de mon frère, Leif Davidsen, traduit du danois par Monique Christiansen, Gaïa, 2014

Avez-vous lu ces romans ? Qu’en avez-vous pensé ? Auriez-vous d’autres lectures danoises à me conseiller pour mieux appréhender la culture de ce pays ?

 

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