Quand les livres sont une invitation à la marche #2

par | Jan 16, 2017 | Un livre pour la route

Deuxième sélection de récits qui sont autant d’invitations à la marche et à une réflexion sur les chemins que nous empruntons, sur la vie que nous choisissons de mener… Je suis encore et toujours davantage animée par ce besoin, presque vital, de marcher. Pour me sentir apaisée, sereine et vivante. Ce besoin qui me fait la plupart du temps éviter de prendre les transports en commun ou la voiture. Pour découvrir un lieu, pour sentir son énergie, pour tenter de devenir intime avec lui, je marche, je l’arpente en tous sens, je le vis à pieds. Entraînant Sacha avec moi dans mes périples pédestres depuis sa naissance, je me rends compte qu’il est devenu un très bon marcheur et qu’il ne rechigne jamais à me suivre (sauf quand il est trop fatigué). Ensemble, nous marchons. Parfois, nous suivons la carte. Parfois, nos envies. En nous laissant porter par le courant, nous découvrons de jolies adresses, des curiosités amusantes, des pans d’histoire. Nous faisons aussi parfois de jolies rencontres. Quelques mots, un sourire, échangés avec d’autres passants ou sur le pas d’une porte. Et même si ces derniers temps nous avons passé beaucoup plus de temps à marcher en ville que dans la nature, ce que nous aimons par-dessus tout c’est randonner sur les sentiers, en forêt ou en montagne, c’est ne plus entendre que le chant des oiseaux, les pierres qui roulent sous nos pas, le vent qui caresse les feuilles, le ruisseau qui s’écoule en contrebas… Et j’ajouterais pour ma part, de marcher dans l’immensité intimidante du désert, au milieu d’un rien plein de tout. Je vous propose ce mois-ci une nouvelle sélection de récits qui, je l’espère, vous donnera envie d’enfiler vos chaussures et d’aller vous balader.

Marche avant, Alexandre Poussin

Quand les livres sont une invitation à la marche. Marche avant, Alexandre Poussin

Marche avant d’Alexandre Poussin est un de mes gros coups de cœur de l’année passée. J’ai adoré son récit, ses mémoires, son histoire, son esprit, sa curiosité et sa façon d’aborder la vie. Je suis admirative de son parcours et de son énergie. De son intégrité et de ses valeurs. De son amour pour sa femme. En plus de découvrir un peu mieux l’aventurier qu’il est et qu’on ne présente plus, ce récit est également une réflexion toute en humilité sur la marche, la vie, les rencontres, l’énergie et notre impact sur la planète. Pendant la lecture, je me suis souvent arrêtée pour réfléchir à notre vie, au sens que nous voulions lui donner, au sens que nous essayons de lui donner, à mes peurs, à mes choix, à mon manque d’audace et de persévérance. J’ai essayé d’y trouver des pistes pour me lancer dans mes rêves afin que certains deviennent de merveilleux souvenirs. Pour aborder aussi ma vie sous un autre angle. Suis-je réellement nomade ? Est-ce réellement la vie que je veux avoir sur le long terme ? Ne serait-ce pas plutôt de grandes aventures que je souhaite vivre ? Des aventures plutôt que des voyages ? Monter de grands projets ? Alexandre Poussin est un homme acharné, persévérant, bourreau de travail, déterminé, passionné et fidèle. Un homme fou de sa femme. Un aventurier romantique. Et j’aime les aventuriers romantiques. D’ailleurs, il fait beaucoup penser à quelqu’un que je connais très bien.

Leur dire de ne pas enterrer leur jeunesse avant de l’avoir vécue. Que rien de bon ne se fait dans la peur, le cynisme, le nihilisme, l’attentisme et l’immobilisme. Que le voyage peut être un passage nécessaire pour se réconcilier avec l’existence et donner du sens à sa vie, d’abord une direction, et ensuite un contenu.

Alors pourquoi le voyage au long cours ? Car la frustration de l’éphémère ne me rend pas heureux, le survol m’exaspère, la furtivité me laisse un goût amer, le viol de l’espace avorte mes rêves. Ils ne pouvaient pas être assouvis d’un coup d’aile. Le plaisir de les découvrir devait être proportionnel à la distance qui m’en séparait. « Faire le tour du monde » avait des résonances inaccessibles pour le gamin que j’étais, nourrissait des rêves de découvertes et d’aventures envoûtantes à mille lieues du billet tour du monde en ope, bradé sur Internet, du monde à portée de clic, celui de la souris et de la ceinture de sécurité. L’inconnu livré sur un plateau repas, le fast-food de l’ailleurs me procureraient autant de spleen qu’une pizza froide. Autant rester dans sa chambre à rêver le monde. L’ailleurs, le lointain devaient se mériter, par la durée, par une certaine forme de souffrance, liée à l’effort physique et à la privation, par les épreuves en chemin, par le défilement de l’espace. À ces seules conditions, l’ailleurs ne m’apparaissait pas désenchanté. Depuis, mes voyages participent d’une tentative personnelle de ré-enchanter le monde.

La marche n’était pas du tout un choix évident pour moi. Il s’est imposé peu à peu, pas à pas. Car aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours cru avoir horreur de la marche, je n’y voyais rien de pratique, je n’avais pas le temps, le sac était toujours trop lourd et me transformait en bête de somme. Et puis c’était vraiment trop lent, le monde était trop vaste et il y avait trop de choses à voir et à faire pour se payer le luxe de marcher. Une petite mort. Voilà ce que je pensais d’elle. Ce n’est qu’après avoir couru le monde que j’en ai découvert le luxe, celui du temps dévolu, du temps donné qui n’est jamais du temps perdu. C’est en marchant que j’ai découvert ma vie, mon métier, ma passion, ma raison d’être, et d’aimer. C’est en marchant que j’ai découvert, sous les dehors peu ragoûtants de la souffrance et du fardeau, une des plus belles expressions de la liberté. Et l’une des plus simples.

La marche révèle que l’homme est un animal social, relié, connecté, religieux.

Nous sommes réduits à notre fonction d’Homo faber, de factotums. La marche permet de s’en détacher, de sortir de sa boîte, de laisser son étiquette au placard et de se reconnecter au monde. Elle a ceci de merveilleux qu’elle met en veilleuse la machine à faire et laisse libre cours à l’être. Être et rien d’autre. Marcheurs de tous pays, unissez-vous ! Le marcheur redécouvre qu’avant d’être né pour faire quelque chose, il est né pour être quelqu’un.

Il faut faire moins de choses dans sa vie mais mettre plus de vie dans les choses que l’on fait. Il nous faut lutter contre la facilité pour ré-enchanter le monde.

Je ne conçois pas le voyage autrement que léger. Qu’il s’agisse d’un week-end chez des amis, d’une semaine de vacances ou de trois ans de marche, je ne prends qu’une brosse à dents et un slip de rechange. Il n’y a pas d’autre secret que de ne rien prendre. Tout ce que vous emportez est en trop. (…) Ce qu’on emporte doit répondre à deux critères : être indispensable et être irremplaçable.

Marche avant est un livre inspirant qui permet de prendre du recul, de réfléchir sur le voyage et la marche, d’avoir des informations concrètes sur la réalisation de certaines aventures (notamment dans la préparation de leur long voyage de noces sur les pistes d’Afrique, Africa Trek), de rêver. Oui, de rêver, car rêver est si bon lorsque la réalité ne nous permet pas encore de pouvoir mettre en route ces grands projets qui nous habitent. Un livre dans lequel je reviens parfois lorsque le moral n’est pas au beau fixe.

De Crillon, je retiens que la seule valeur absolue en ce monde est le temps que l’on donne aux autres.

Nous sommes des porcelaines de Saxe rangées dans du coton, des chochottes gavées de Prozac ; ils sont des surhommes, indestructibles.

Impossible d’être un marcheur et de ne pas devenir un protecteur de la terre. Il suffit d’en avoir fait le tour pour comprendre qu’elle est un univers clos. Il suffit d’avoir marché ou pédalé des milliers de kilomètres pour savoir que nos campagnes tempérées et fertiles sont un mouchoir de poche posé sur un coin de désert. Le marcheur a vécu et compris qu’il n’y a pas d’avenir de l’homme sans protection de la nature. Il a vu qu’elle était partout en sursis, mutilée, cernée, harcelée, souillée, épuisée, dévorée.

Notre liberté n’est pas celle que l’on croit. Ce n’est pas faire ce que l’on veut quand on veut. Nos actes, choix et décisions doivent répondre à une logique, une structure, et à un mot qui sonne « réac » et vieille école : la discipline. Ou plus exactement l’autodiscipline.

Vivre intensément l’instant présent. C’est la meilleure façon de ne pas regretter d’être ailleurs, de ne pas vouloir faire autre chose, et de bien faire ce que l’on fait. C’est être présent à ce que l’on fait.

Un aventurier sans routine est un vagabond.

Le secret, c’est qu’il faut vouloir peu de choses mais les vouloir longtemps : ce n’est qu’à ces deux conditions qu’elles se produiront. Et pour vouloir peu de choses, il faut avoir opéré des choix et résister aux tentations qui remonteront immanquablement à l’assaut de notre décision. Inscrire ce choix dans la durée permet d’y concentrer son énergie. C’est la dose d’énergie que l’on met dans ce que l’on fait qui finit par leur donner vie.

Le réel prime. À chaque instant. Il est la porte d’accès au rêve. Pas l’inverse.

Marche avant. Guide à l’usage des aventuriers de grand chemin et des voyageurs immobiles, Alexandre Poussin, Pocket

Immortelle randonnée, Jean-Christophe Rufin

Immortelle randonnée, Jean-Christophe Rufin. Quand les livres sont une invitation à la marche #2Ah Compostelle ! Quel marcheur ne rêverait pas de marcher sur le fameux chemin de Compostelle. D’ailleurs, les rayons des librairies ne manquent pas de récits à ce sujet. Je n’ai jamais voulu en lire un d’ailleurs. Pour garder le plaisir de la découverte et de la nouveauté. De marcher sur ce chemin sans références. Et puis, et puis… Immortelle randonnée est sorti. Il m’a fait de l’œil. Et puis, j’ai vu ou écouté une interview de Jean-Christophe Rufin. Il m’a encore plus fait de l’œil. J’ai tourné autour plusieurs moi. Le prenant, lisant quelques passages, le reposant. Et… j’ai craqué. Donc, Immortelle randonnée, c’est un peu la lecture malgré moi. Et j’en suis bien heureuse.

Dans ce récit, pas d’exploit. Pas de marche rêvée et planifiée longtemps à l’avance. Presque un coup de tête. Un besoin de se mettre un peu l’écart,  » … en partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l’ai trouvé. » Et le voilà parti sur le Chemin du Nord en Espagne jusqu’à Saint-Jacques. Des côtes basques aux montagnes sauvages des Asturies et de Galice. Il partage son chemin avec le lecteur. Avec humilité. Avec humour. Au final, Compostelle se révèle pour lui une aventure tant physique que spirituelle. Compostelle est un personnage, une puissance. Compostelle est un véritable chemin vers soi. Compostelle impose sa loi. S’impose à soi. J’ai adoré ce récit de Jean-Christophe Rufin. Je l’ai lu avec plaisir ne sachant le quitter. Et je l’ai refermé, lui aussi, avec une envie pressante de me mettre en route… De prendre le sac à dos, le remplir de quelques ustensiles utiles et me lancer sur un coup de tête. Pourquoi ? Je ne sais pas… Un appel. Une envie de plusieurs années. Une quête de sens. Une vérité. Faire Compostelle sans se prendre la tête. Seul. Pour soi. Une belle aventure partagée en toute simplicité.

Comment expliquer, à ceux qui ne l’ont pas vécu, que le Chemin a pour effet sinon pour vertu de faire oublier les raisons qui ont amené à s’y engager ? À la confusion et à la multitude des pensées qui ont poussé à prendre la route, il substitue la simple évidence de la marche. On est parti, voilà tout. C’est de cette manière qu’il règle le problème du pourquoi : par l’oubli. On ne sait plus ce qu’il y avait avant. Comme ces découvertes qui détruisent tout ce qui les a précédées, le pèlerinage de Compostelle, tyrannique, totalitaire, fait disparaître les réflexions qui ont conduit à l’entreprendre.

On aperçoit déjà ce qui fait la nature profonde du Chemin. Il n’est pas débonnaire comme le croient ceux qui ne se sont pas livrés à lui. Il est une force. Il s’impose, il vous saisit, vous violente et vous façonne. Il ne vous donne pas la parole mais vous fait taire. La plupart des pèlerins sont d’ailleurs convaincus qu’ils n’ont rien décidé par eux-mêmes, mais que les choses « se sont imposées à eux ». Ils n’ont pas pris le Chemin, le Chemin les a pris.

Le Chemin est d’abord l’oubli de l’âme, la soumission au corps, à ses misères, à la satisfaction des mille besoins qui sont les siens. Et puis, rompant cette routine laborieuse qui nous a transformés en animal marchant, surviennent ces instants de pure extase pendant lesquels, l’espace d’un simple chant, d’une rencontre, d’une prière, le corps se fend, tombe en morceaux et libère une âme que l’on croyait avoir perdue.

Le Chemin réenchante le monde. Libre à chacun, ensuite, dans cette réalité saturée de sacré, d’enfermer sa spiritualité retrouvée dans telle religion, dans telle autre ou dans aucune. Reste que, par le détour du corps et de la privation, l’esprit perd de sa sécheresse et oublie le désespoir où l’avait plongé l’absolue domination du matériel sur le spirituel, de la science sur la croyance, de la longévité du corps sur l’éternité de l’au-delà. Il est soudain irrigué par une énergie qui l’étonne lui-même et dont, d’ailleurs, il ne sait pas très bien que faire.

Pour le nouvel arrivant sur le Chemin et d’autant plus qu’il n’entend pas en parcourir une très longue portion, le sac à dos est simplement… un sac à dos. Pour le pèlerin déjà attendri par une longue marche, le sac à dos, c’est le compagnon, la maison, le monde qu’il transporte. En un mot, c’est sa vie. À chaque pas, les bretelles l’ont enfoncé dans sa chair. Ce fardeau fait partie de lui. S’il le pose, c’est sans jamais le perdre des yeux.

Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi, Jean-Christophe Rufin, Folio

Méharées, Théodore Monod

Méharées, Théodore Monod. Quand les livres sont une invitation à la marche #2

On ne peut parler de la marche et de grands marcheurs sans parler de Théodore Monod, ce savant infatigable, cet humaniste, qui a parcouru le Sahara sa vie durant. Pour moi, Monod est une légende. Un être à part qui a accompagné mes premières découvertes du désert. Lire Monod, c’est entrer dans un autre monde. Un autre univers. Dans l’univers de l’érudition. Du savoir. De l’observation minutieuse. De l’aventure sans esbroufe. De l’ascèse. Pas d’ordinateurs. Pas de GPS. Pas de Wifi. Lire Monod, c’est voir ce qui nous entoure, les pierres, le sable, les plantes, les animaux, les montagnes, avec beaucoup de curiosité et de respect. Malgré l’aridité de son écriture, tout comme celle de son terrain de jeu, on prend plaisir à lire ses récits, ses découvertes, ses impressions, ses réflexions. On le lit lentement. On prend le temps. On plonge dans une autre époque. On réfléchit sur la vie et le destin de cet homme qui a traversé tout le 20e siècle. Et on ne peut que s’incliner. Méharées nous emmène sur les pas du savant dans ses caravanes à travers le plus grand désert du monde, le Sahara. Des anecdotes, des descriptions, des réflexions, des traits d’humour, des moments de vie. Méharées n’est pas un récit linéaire. Ce qui lui donne un certain rythme. Et heureusement, car parfois le rythme est le même que celui du déplacement de la caravane. Et à notre époque, nous n’y sommes plus vraiment habitués. Nous progressons lentement avec l’auteur. Nous prenons le temps. Nous prenons aussi le temps de comprendre, de chercher la définition de certains mots, de nous instruire… Lire Monod n’est pas divertissant. Lire Monod est édifiant. Il invite à porter un regard critique sur notre société. Il invite à se détacher du quotidien et de nos petites réalités.

Chinguetti, assez illustre en son temps pour que l’expression trab Chinguetti désigne encore parfois tout l’Ouest Saharien du Sud marocain au Sénégal, Ouadane, « double rivière de science et de dattes », d’après la fantaisiste étymologie « arabe » que les indigènes tiennent, comme c’est l’usage, à infliger à un mot berbère, Tichitt, Oualata, Tombouctou ont eu leurs savants.

Mais l’érudition se meurt ; on ne s’intéresse plus aux livres, à l’histoire, à l’étude ; le commerce est l’unique préoccupation. Acheter et vendre, le prix des moutons et des cotonnades, voilà l’exclusif souci du jour.

Le phénomène paraît commun à toutes les villes de l’Ouest et doit être justifiable d’une explication générale.

En y réfléchissant, on entrevoit peut-être la suivante : ces centres d’érudition ont été des ports sahariens dont la principale marchandise fut, des siècles durant, le Noir destiné aux marchés de l’Afrique mineure. La suppression, non de l’esclavage, mais du moins celle du commerce en grand des esclaves, semble avoir non seulement ruiné le trafic transsaharien, mais détruit une certaine structure sociale et, indirectement, de précieuses valeurs intellectuelles dont la culture méthodique exigeait des loisirs et une indépendance matérielle gagés peut-être sur le travail servile et les profits du marché aux captifs.

Le fait est-il bien spécial au Sahara ?

À dire vrai, je préfère mes grands horizons dévastés, sans limites, moins confortables sans doute, moins rassurants, moins domestiques, plus grandioses dans leur tragique et inhumaine immensité.

Îlot de tissu vivant dans cette nécrose, quelques cases encore habitées. Des saulniers d’Idjil, un groupe de chasseurs d’addax arrivés de l’erg, quelques boutiquiers, tandis que dans la pénombre chaude d’une soupente, accroupi au milieu de ses livres inutiles, dans un nuage de mouches, le dernier savant de Ouadane, vieillard aveugle, résigné à cette agonie d’un monde étouffé par les décombres, la poussière et l’ordure, immobile, attend la sienne.

Paysages monotones, des arbres sur des prairies jaunies à perte de vue, et il y en a cinq cent kilomètres comme ça… Ni bien drôle, ni bien varié, cela ne manque pas de grandeur par la totale solitude de ces lieux perdus, ignorés, où, « même le dimanche », il n’y a jamais foule.

Toujours « agréable », non ; saine, oui, et pleine d’enseignements pour des « civilisés » ayant fini par confondre l’accessoire et l’essentiel, et par encombrer leur existence d’une foule d’éléments artificiels, de besoins factices, de malsaines inutilités qu’ils considèrent naïvement comme l’ « indispensable ». L’indispensable, le vrai, ne pèse pas lourd, à peine trente kilogrammes par mois. C’est la ration du méhariste : vingt kilogrammes de blé moulu, un de vermicelle, cinq de sucre, un demi de thé vert, deux litres d’huile. Et voilà, ce dont les Européens ne se doutent guère, de quoi faire vivre, et prospérer – sans viande souvent, toujours sans alcool – des hommes dont l’existence quotidienne exige des efforts physiques souvent démesurés.

Évidemment, ce n’est pas un pays pour valétudinaires, je ne le recommande qu’aux santés robustes ; au pays sans secours médical possible, un pays où l’on n’a pas le droit d’être malade : essayez d’enfreindre le règlement, soyez-le quand même pour « voir », pour tenter l’expérience. Que fera-t-on de vous ? Rien. Rien parce qu’on ne peut rien : vous êtes malade, ou blessé, mourant peut-être ? Soit, mais le cas n’est pas prévu et, pour intéressant que vous soyez, cela ne rapprochera pas d’une seule étape le puits, bien lointain encore… Il faut marcher à tout prix ; si vraiment vous être incapable de vous tenir en selle, eh bien, on vous attachera, mais l’étape se fera, parce qu’il faut qu’elle se fasse. Pays impitoyable. Et nous serons bientôt, nous aussi, à l’image de celui-ci, sans une plainte devant nos souffrances, insensibles à celles des autres. L’école est rude, la leçon en est salutaire. Ici, l’usage est de se rendre « intéressant » par de perpétuelles jérémiades, sous les prétextes souvent les plus futiles, la chaleur (ou le froid), la pluie (ou le soleil), etc. Le moindre bobo nous précipite chez l’apothicaire. Là-bas, aucune plainte ; c’est tout à fait inutile puisqu’il n’y a personne à apitoyer : alors il ne nous reste qu’à serrer les dents, en prenant l’air du « monsieur-qui-n’a-pas-mal-du-tout ». Excellente méthode : nos menus accrocs de santé, et d’épiderme, méritent-ils vraiment, vus de Sirius, l’intérêt attendri que nous leur portons ? »

Méharées. Explorations au vrai Sahara, Théodore Monod, Babel

Quand les livres sont une invitation à la marche #2... Alexandre Poussin, Jean-Christophe Rufin et Théodore Monod

Une nouvelle sélection, trois récits bien différents les uns des autres. Mais un point commun : la marche est une expérience spirituelle… Elle apporte un regard différent sur le monde, la société et le sens de la vie. Préparer cet article m’a permis de replonger dans ces textes et m’ont permis de me reconnecter avec ce qui me semble l’essentiel : la légèreté, la simplicité, l’audace, l’effort, la récompense de l’effort, la rencontre, l’authenticité. Parfois, dans nos quotidiens, dans nos réalités, nous perdons de vue nos valeurs et nos priorités. Non pas que nous les oublions, mais il nous semble que nous ne pouvons pas leur donner d’espace. Nous tentons d’avancer. De nous adapter et puis nous sommes embarqués dans un tourbillon dans lequel on ne se reconnaît plus. N’ayant plus eu l’occasion de marcher depuis un temps certain, j’ai perdu mes repères. En relisant certains passages des ces titres présentes, je me suis petit à petit reconnectée à ces valeurs. Et c’est bien ça la force de la littérature… Nous permettre de nous équilibrer quand le réel, bien que temporairement, nous impose de nous déséquilibrer… Quels sont pour vous ces livres qui vous ressourcent ?

Si vous avez des titres à me conseiller ou que vous souhaitez partager, n’hésitez pas à me laisser un commentaire.

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