Sortir de Sarajevo

par | 6 Avr 2016 | Bosnie-Herzégovine | 3 commentaires

Dans ce dernier article de notre séjour à Sarajevo, je vous propose de sortir de la ville et d’aller prendre un peu l’air. En raison de sa situation géographique et de son urbanisation, Sarajevo peut vite se révéler une véritable fournaise quand les températures grimpent l’été. Il est bon alors de sortir, de se promener tranquillement sous les arbres à Ilidža, de respirer l’air frais et pur des montagnes à Lukomir, de se rafraîchir au pied de la cascade de Skakavac, de plonger dans l’Histoire ou encore de descendre à toute vitesse la piste de bobsleigh.

Un des endroits les plus agréables où se détendre et prendre l’air dans les environs de Sarajevo sans avoir besoin de prendre une voiture est le parc de Vrelo Bosne. Aménagé au 19e s. autour des sources de la Bosna, au pied du Mont Igman, ce parc est un véritable havre de paix et de fraîcheur où les familles aiment se balader ou pique-niquer dans un cadre bucolique et champêtre. Nous avons aimé donner du pain aux canards et aux cygnes, nous avons ramassé des cailloux et tenté de faire des ricochets, nous avons cherché des trésors et trempé nos pieds dans l’eau de la rivière qui aurait donné son nom au pays, nous sommes passés et repassés sur les petits ponts et nous sommes posés à une aire de jeux en très bon état où Sacha en a profité pour jouer avec d’autres enfants. L’après-midi est passée sans même nous en rendre compte.

Mais, ce qui a le plus plu à Sacha, c’est le trajet pour y aller. D’abord, il faut prendre le tram qui traverse toute la ville direction Ilidža et qui permet de voir un autre aspect de la ville et de sa périphérie. Presque 30 minutes dans un vieux tram, c’est toute une aventure pour un enfant ! Ensuite, arrivés au terminus d’Ilidža, entraînés par la foule, nous nous perdons un peu. Car pour rejoindre le parc, il faut parcourir une grande allée de 3,5 km bordée de platanes et marronniers géants. Mais avant de l’emprunter, il faut la trouver en traversant un parc entouré d’hôtels au style austro-hongrois et en passant entre des attractions pour enfants. Enfin, nous arrivons au début de la Velika Aleja où quelques calèches élégantes malgré leur vétusté attendent les visiteurs. Nous grimpons dans l’une pour nous rendre jusqu’à l’entrée du parc. Comme une impression de voyager dans le temps. Le cliché est sympa, Sacha adore et, moi, je savoure avec joie chaque secousse. En effet, l’allée n’est plus qu’une succession de trous plus ou moins grands et le cocher fait trotter son cheval. J’ai de la peine pour le cheval et pour mon dos également. Si vous envisagez de prendre la calèche, essayez de demander à votre « chauffeur » de marcher au pas. Ce sera bien plus confortable. Au retour, peu enthousiaste à l’idée d’une nouvelle balade en calèche, nous avons emprunté la grande allée à pieds et fait un cours de botanique.

Et puis, en arrivant à Ilidža et me promenant le long de la rivière, j’ai repensé au roman de Jean Hatzfeld, Robert Mitchum ne revient pas, qui raconte l’histoire d’un couple d’athlètes, elle serbe, lui bosniaque, séparé par la guerre. Ils vivaient tous les deux à Ilidža avant que les serbes ne chassent les musulmans de leurs maisons et contrôlent la ville. Un roman non pas sur la guerre, mais un roman sur les individus pendant la guerre.

Infos pratiques : l’entrée au parc est de 2 KM et la promenade en calèche de 15 KM.

Lukomir, un village traditionnel préservé mais dépeuplé

Autre lieu incontournable lorsque l’on se rend en Bosnie-Herzégovine : Lukomir. Un village traditionnel tout en pierre, en bois et en tôle, isolé dans les montagnes, uniquement accessible par des pistes, totalement coupé du monde en hiver, avec une vue exceptionnelle sur les montagnes, un air pur aux relents de moutons et de chèvres, le silence seulement brisé par l’appel à la prière par le muezzin dans la vallée ou par le bêlement des animaux. Ceux qui restent sont les personnes âgées qui, pour agrémenter leur quotidien, vendent des chaussettes en laine traditionnelles ou des ustensiles en bois sculpté aux touristes de passage. Les jeunes sont partis pour la ville. Ils reviennent l’été voir leurs parents. Il y a de moins en moins d’habitants dans ce village traditionnel. De plus en plus de touristes, comme nous, qui viennent voir les restes d’un autre temps, d’un mode de vie ancestral. Le paysage est si impressionnant et l’on se sent si petit.

Comme il avait plu les jours précédents, je n’avais aucune certitude quant au fait de la praticabilité des pistes. J’avoue aussi que j’appréhendais un peu la route jusqu’à ce village perché à 1495m d’altitude. Alors, j’ai décidé de partir avec une agence et donc, un guide. Nous sommes partis avec l’agence Green Visions, une agence éco-responsable qui s’engage également aux niveaux social et économique. Je ne suis pas habituée à me joindre à des groupes ni à me faire guider mais j’ai apprécié cette journée et Sacha a pu enfin parler à d’autres personnes qu’à moi ! Se faire guider, c’est profiter pleinement du paysage, du massif Bjelašnica, des bergers croisés dans la solitude des lieux, boire une infusion de menthe sauvage, avoir des explications en anglais sur la guerre et la vie de soldat ainsi que sur l’histoire du village grâce à notre chauffeur. Nous avons également dégusté un délicieux sirniča accompagné d’un yaourt maison.

Nous n’avons malheureusement pas passé la nuit dans ce village reculé. Il est toutefois possible de loger dans le village le plus proche, Umoljani, une excellente base de départ pour des randonnées dans la région. Ces villages sont presque déserts désormais bien qu’ils soient habités depuis le moyen-âge, puisqu’on y trouve des stèles funéraires bogomiles datant des 14e et 15e s. Umoljani, village entièrement bosniaque au début de la guerre, a été complètement détruit. Toutes les maisons que l’on y croise sont récentes, à l’exception de la mosquée, construite au début du 20e s., au minaret fort étrange. Quelques légendes circulent d’ailleurs à ce sujet. Celle que l’on m’a contée dit que la mosquée aurait été épargnée car le fils du commandant de l’armée serbe aurait été guéri et sauvé miraculeusement par l’imam de cette mosquée. Lukomir, quant à lui, a été épargné pendant la guerre grâce à son isolement. Ce qui en fait presque le dernier village traditionnel conservé. Seul bémol à notre visite : ne pas avoir eu le temps de prendre le temps pour nous imprégner des lieux. J’aurais apprécié davantage de liberté.

Skakavac, une cascade bien méritée

Ce matin, le soleil brille et aucun nuage à l’horizon. La journée semble idéale pour aller se balader dans les montagnes. Mais où aller ? C’est alors que ma passion pour les cascades me reprend et que j’embarque Sacha pour une petite randonnée vers celle de Skakavac, la plus proche de Sarajevo (à 13 km seulement) et la plus haute de Bosnie-Herzégovine avec ses 98m de chute. Nous prenons la voiture et, en quelques minutes seulement, nous nous retrouvons en pleine campagne loin du tumulte de la ville. Nous traversons de petits villages et quittons la route juste après Nahorevo. Nous empruntons une piste cabossée et abîmée par les dernières pluies. Nous ne sommes pas encore arrivés au parking mentionné dans le guide mais je décide de nous arrêter à côté d’une cabane en bois à l’ombre de laquelle dorment trois gros chiens patauds.

Dans le jardin, un homme m’interpelle en anglais et me conseille de prendre le chemin qui traverse la forêt de pins et de hêtres. La cascade ne serait qu’à 1h30 de marche de là et, sous ce soleil, c’est le plus agréable. Nous suivons son conseil et nous enfonçons dans les bois. La fraîcheur nous fait du bien, les senteurs du sous-bois ravissent nos narines, l’idée de peut-être croiser quelques animaux sauvages (loups, ours ou sangliers) nous fait frissonner. Le chemin est long mais facile et source d’émerveillements. Nous traversons quelques ruisseaux sur de petits ponts, longeons des parois abruptes et commençons à nous impatienter.

Enfin, nous entendons le bruit de la cascade et accélérons le pas. Nous arrivons au pied de celle-ci. Immense. Comme un jardin d’Eden. Un petit pont en bois permet de s’approcher au plus près et de sentir la bruine nous arroser légèrement. Nous en profitons pour pique-niquer sur un rocher en admirant la vue impressionnante sur la vallée. Repus, nous remontons la montage pour admirer la cascade d’en haut. Le chemin est abrupt et difficile. La remontée est plus lente. Mais le spectacle en vaut la peine. Enfin, nous arrivons au parking préconisé. Pas une seule voiture. Nous sommes seuls sur la piste. Plus d’ombre. La chaleur nous écrase et la remontée nous a fatigués. Sacha est surprenant. Il continue à marcher sans se plaindre. En tout, nous aurons marché 9 km et n’aurons croisé aucune bête sauvage. Avant de reprendre la route, nous nous arrêtons à la cabane où quelques hommes boivent une bière à l’ombre. Dragan, l’homme de la cabane, nous invite à entrer. Il essaye de fonctionner le plus possible en autarcie et fabrique ses propres produits naturels (sirops, alcools, bocaux de légumes et de fruits en sirop, confitures, …). Nous prenons un verre et écoutons un peu son histoire et ses projets. Excellente adresse aussi où manger après une longue randonnée.

Le siège de Sarajevo

Sarajevo, une ville marquée par le plus long siège de l’histoire de la guerre contemporaine. Une ville coupée du monde, encerclée, bombardée pendant presque quatre ans. Une ville marquée par cette guerre dont les traces sont toujours bien présentes et visibles tant au centre que sur les montagnes qui la cernent. Si nous avons déjà parcouru la ville de long en large, nous n’avons pas encore visité le Tunnel de Sarajevo ni la colline de Trebević où l’armée serbe tenait la ville sous son joug. Pour découvrir ces lieux, j’ai participé à un tour organisé par l’agence Sarajevo Funky Tour qui travaille avec une guide francophone. Pour avoir une visite en français, il faut faire une demande spéciale et trouver d’autres participants pour diminuer les coûts. Pendant la visite, notre guide Amela nous parle de la guerre, elle nous donne des chiffres et relate des faits historiques et les conséquences de ces décisions encore aujourd’hui pour le pays. Mais, surtout, elle évoque ses souvenirs d’enfance avec retenue et sincérité. Nous allons d’abord visiter le Tunnel de Sarajevo, ou le Tunnel de l’Espoir, qui était l’unique porte de sortie et d’entrée dans la ville. Permettant aux uns de sortir de la ville pour fuir ou se battre et aux autres de faire entrer des vivres, des marchandises et de l’aide humanitaire dans cette ville coupée de tout. Il partait de Dobrinja, dans la ville assiégée, passait sous l’aéroport de Sarajevo occupé par les Nations Unies et sortait de l’autre côté, dans le garage d’une maison quelconque à Butmir, une zone sous le contrôle de l’armée bosnienne. Cet endroit est chargé d’émotions d’une part, en raison de son histoire formidable et du rôle salvateur qu’il a joué pendant le siège et d’autre part, en raison de la façade et de la cour de cette maison encore criblées d’impacts. Emprunter le tunnel était un risque énorme pour quiconque s’y aventurait. Lors de la visite, nous avons regardé un film expliquant la construction du tunnel et son rôle dans cette ville assiégée, nous avons parcouru l’exposition de matériel militaire et humanitaire qui transitait par le tunnel et nous avons emprunté les 20 m accessibles.

Ensuite, nous avons repris la route et sommes montés au sommet de la Trebević, cette colline qui surplombe la ville et qui, pendant les Jeux Olympique d’hiver de 1984, accueillait la piste de bobsleigh et de luge. Et puis, pendant la guerre, tout a été détruit et cette colline a servi de position pour les tirs d’artillerie de l’armée serbe. Le lieu est fort en symboles. Symbole de paix et de solidarité en 1984. Symbole de mort une dizaine d’année plus tard. Aujourd’hui, bien qu’encore extrêmement marqué par la guerre – il ne reste quasiment plus que des hôtels et restaurants en ruines, les jeunes reprennent possession des lieux. Notamment, de cette piste de bobsleigh devenue une véritable fresque du street art. Nous croisons des jeunes qui boivent une bière, d’autres qui font un barbecue. Je ne me lasse pas du spectacle de cette piste grise à laquelle on a donné des couleurs. La vue sur Sarajevo est impressionnante. Et l’on songe à cette ville touchée en plein cœur, dans son identité multiculturelle et joyeuse, à ses habitants pris au piège. Et le cœur se serre. L’avenir se construit chaque jour à Sarajevo grâce aux jeunes qui ne veulent plus que la ville soit uniquement synonyme de guerre. Nous avons passé une excellente après-midi en compagnie d’Amela et du couple québécois qui nous a accompagnés sur les traces du siège de Sarajevo.

Des grottes fermées

Après les cascades et les sources, voici mon troisième dada : les grottes. Je n’en avais pas encore visité en Bosnie-Herzégovine. Lisant dans mon guide qu’il y en avait à proximité de Sarajevo, je prépare Sacha et l’embarque pour aller visiter la Grotte d’Orlovača. Oui, cet enfant doit subir tous mes petits délires de randonnée et de visites de grottes et autres curiosités naturelles ! En contrepartie, je me plie aux petits tours en train touristique, bus, bateau ou calèche ! La Grotte d’Orlovača est connue pour les restes d’un Ours des Cavernes qui y aurait vécu il y a 16 000 ans. Le site et ses alentours auraient été habités à l’époque préhistorique. Seulement, Orlovača n’est pas facile à trouver. J’arrive jusqu’au croisement qui indique la présence de la grotte et tourne à gauche comme indiqué. Je roule lentement à travers la campagne et cherche du regard la prochaine indication. Rien ! Je m’approche à nouveau de Sarajevo. Je m’arrête à la poste d’un village où un homme m’indique que je dois retourner en arrière. Du moins, c’est ce que je comprends. Je retourne donc au croisement et m’arrête à l’épicerie tenue par une dame des plus avenantes. Elle me dit de prendre la piste, là, derrière la maison. Je remonte dans la voiture, emprunte la piste en très mauvais état et trouve enfin l’entrée de la grotte. Il est 15h15. Tout est fermé. Je m’approche du bureau d’accueil. Il n’y a que trois visites par jour : 9h, 12h et 15h. Trop tard ! Nous montons les marches vers la grotte. Peut-être croiserons-nous quelqu’un ? Nous ne croisons que des moutons surpris de nous voir.

Nous remontons en voiture et nous décidons d’aller admirer le mont Jahorina où s’étaient déroulées les épreuves de slalom féminines lors des Jeux Olympiques de 1984. Il s’agit désormais d’une charmante station de ski qui offre le plus grand domaine skiable, un peu vide en cette saison. Comme à notre habitude quand nous voyageons dans ce pays, nous ne croisons personne et tout est fermé. La montagne est belle. Ses pentes vertes tranchent dans ce ciel bleu sans nuage. Il n’y a pas de bruits. Pas de voitures. Pas de musique ou de gens qui parlent. J’imagine les merveilleuses balades que l’on peut y faire mais je n’ai pas de carte et l’après-midi est déjà très avancée. Nous restons donc quelques instants à admirer le paysage avant de redescendre sur Sarajevo. Erreur de débutante en cette journée, je n’avais pas vérifié la batterie de l’appareil photo avant de partir. Les images ne sont que gravées dans notre mémoire.

Voici donc encore quelques idées de sorties natures et culturelles lors d’un séjour prolongé dans la capitale bosnienne. Ayant une position quasi centrale, Sarajevo est le point de départ idéal pour de nombreuses excursions aux alentours, telles que les pyramides de Visoko, Jajce, Višegrad, Travnik, Kraljeva Sutjeska, la forteresse de Bobovac…

Je mets désormais un point final à nos trois semaines à Sarajevo. Trois semaines de bonheur dans cette ville historique. Trois semaines à parcourir ses rues et ruelles, à gravir ses collines, à prendre ses trams et à découvrir ses alentours avec joie. Découvrir Sarajevo un jour d’octobre 2012 et se prendre de passion pour cette ville, ce pays. N’avoir en tête que l’envie d’y retourner et d’explorer chaque parcelle de nature préservée, chaque morceau d’histoire, chaque recoin. Avoir envie d’y séjourner assez longtemps que pour essayer de comprendre cette énergie qui m’avait tant plu. Avoir envie de parler la langue pour pouvoir communiquer davantage. Trois semaines à Sarajevo et trois semaines sur les routes du pays, c’est encore trop peu. Alors, il me faudra retourner encore et encore dans ce pays. Me gaver de sa beauté… Bientôt, j’y retournerai.

Et si vous avez aimé notre article, n’hésitez pas à le partager sur Pinterest :

Articles liés
Višegrad, hier et aujourd’hui

Višegrad, hier et aujourd’hui

  Lors de notre premier road trip en Bosnie-Herzégovine, j’avais emporté dans mes bagages un roman essentiel pour la compréhension de cette région et dont l’action se déroule sur plusieurs siècles au même endroit : Le Pont sur la Drina d’Ivo Andrić. Le « Pont sur...

lire plus
Découvrir Sarajevo avec un enfant

Découvrir Sarajevo avec un enfant

 Rester trois semaines à Sarajevo, ça laisse le temps d'appréhender la ville, de parcourir chaque jour un nouveau quartier et de tester quelques activités à faire en famille. Même si, comme je l’avais déjà évoqué dans un précédent billet, ce pays ne dispose pas...

lire plus
Sarejevo, un autre regard

Sarejevo, un autre regard

 2012. Tout un monde en un seul mot : Sarajevo(...) La vallée où se déroule la voie s'encaisse toujours plus dans une succession de petites collines qui paraissent couvertes de forêts. Les villages grossissent et se multiplient, puis s'agglutinent pour former une...

lire plus