Le voyage en train, dernier bastion de la liberté ?

par | 3 Sep 2014 | Autour du voyage

Ah le voyage en train ! Les trains traversent les cartes et nous sommes libres de les accompagner devenant ainsi ce que Rimbaud nommait un enfant fou de cartes. Seraient-ils un des derniers bastions de la liberté ?

Les trains m’emmènent vers les champs, ceux des moissons, ceux des possibles. Les paysages abreuvent mon âme, la vie des Hommes nourrit mes pensées.

On y côtoie les gens sans pour autant devoir les fréquenter. Observer ces Autres abreuve ma curiosité. Qui sont-ils ? Sont-ils heureux ? Quels sont leurs secrets ? Quel est leur rôle dans cette comédie humaine ?

Voyager en train et écritureLes trains, y lire, y écrire, y dormir, y manger, y discuter. Ils sont tour à tour bibliothèque, bureau, véhicule, dortoir, restaurant, salon de thé… Selon mes désirs, ils se modulent, se déclinent. On peut y embarquer partout, en descendre où l’on veut, y remonter plus loin et traverser la Terre entière. Ces voies qui crèvent l’horizon paraissent ne jamais finir. Et au bout ? D’autres gares avec d’autres rails et d’autres motrices emportant d’autres wagons où je serai peut-être, où mon esprit est déjà.
J’aime les trains, car ils sont lieux d’existence. Théroux écrivait qu’un train n’est pas un véhicule. Un train fait partie intégrante d’un pays. C’est un endroit.

 

 

L’aventure poétique du voyage en train

Voyage en train Vers Varsovie

Entrer dans des compartiments aux noms qui font rêver

 

Chaque voyage est une vie, disent les Gitans, et les vies m’intéressent. Alors, il me faut m’installer à bord d’un train, croiser des destinées et voyager dans une géographie poétique. Ou passer de l’un à l’autre, rouler et rouler encore. Être emmené pour des endroits dont les noms inspirent et décider, sur un coup de tête, de les quitter bien avant ou beaucoup plus tard, n’importe où sauf à la gare où l’on avait imaginé descendre.

En train, l’aventure débute à la gare qui suit celle où l’on a embarqué. Les trains pénètrent en profondeur ce qui me captive : sociétés et paysages. On entre dans les cités humaines pour filer, dès que les portes se referment, vers les campagnes et les forêts pour ensuite retourner chez les humains. De la cohue à la solitude. Oui, les trains comblent mes paradoxes et atténuent mes dualités.

Ce cycle, renouvelable à l’infini, est comme un rythme, un battement de cœur et me tient en vie. En permanence, des trains roulent, entrent en gare, fendent les campagnes, jour et nuit, dans tous les endroits du globe. Cette pensée m’étourdit, m’enivre d’idées vagabondes.

Pour moi, une errance ferroviaire infinie avec livres, appareil photo, carnet de notes comblerait largement tout le reste de mon existence. Oui, aller n’importe où, n’importe quand ou vers Nulle part.

 

Voyage en train Vers SarajevoLes trains font subsister un peu de ballotage, de sensations, de visuel, de dégradés de couleurs, de lenteur – encore que la grande vitesse gagne toujours plus de voies – pour que nos corps et nos sens éprouvent le voyage. Cette progressivité, cette lenteur nécessaire – à l’opposé de la tendance globale – permettent de se sentir partir, avancer et changer de place. Train, ce mot qui signifiait trainer, garde ses gênes étymologiques et influence le voyageur, qui accepte de prendre le temps de le saisir, à muser. Il permet, contrairement aux déplacements aériens, à notre corps d’arriver à destination presqu’au même moment que notre âme.

Mais bon, il n’y a pas que le train…

Non, mais sur les rails, on échappe aux contraintes sécuritaires et à cette rigidité étouffante inhérente aux transports aériens. On ne subit pas l’inconfort des déplacements routiers avec leurs embouteillages, pannes, stress et isolement. Le mal de mer n’a pas cours dans un wagon, ce qui m’agrée. Bien qu’aborder la Terre à contre angle éveille également en moi des rêveries romantiques, je ne parviendrais malheureusement pas à contenir mes peurs liées à l’impuissance que les vastes étendues océanes me suscitent. De plus, je rendrais chacun de mes repas dès que la mer gronderait pour rappeler que les mortels n’ont rien à faire sur ses flots. Pas plus qu’accompagner un âne, qu’il soit de chair et d’os ou métallique à deux roues, les voyages à pied de longue durée, malgré toute la noblesse que je leur confère, ne sont pas pour moi.

Alors, les trains, qui nous offrent aussi un angle différent pour aborder le monde et le traverser, me conviennent parfaitement. Non, pas d’exploits sportifs, pas d’originalité, pas d’effet de mode, rien de sensationnel, le train est à contrevoie de tout cela.

Et l’avion dans tout ça ?

Les aéroports et les avions sont des lieux communs. Où que l’on aille, toutes compagnies et pays confondus, à quelques détails de modernité près, se ressemblent. Peu importe leurs codes vestimentaires, ce que l’on y sert comme repas, le film qu’on diffuse ou le visage des douaniers, l’uniformité de ces instants stérilisent la magie de l’odyssée vers l’ailleurs. Ces zones de passage aux formalités internationales, toujours plus contraignantes et infantillisantes, nous laissent désagréablement, en tous lieux, en terrain connu. Nous les quittons pour en rejoindre d’autres qui ressemblent à s’y méprendre à celui dont on s’éloigne provoquant ainsi une étrange sensation de ne pas changer de place, mais de subir le désagrément du trajet. Il en va de même pour le passage dans l’avion, endroit tellement standardisé qu’il est rare d’en garder un souvenir singulier. On se déplace assis, serré, coupé du monde, les yeux rivés sur un appuie-tête, avec, dans le meilleur des cas, une vision réduite par un hublot, sorte de lucarne sur une planète à laquelle momentanément, espérons-le, nous n’appartenons plus. Ce type de déplacement codifié et uniformisé permet difficilement de se rendre compte des distances parcourues, de l’éloignement géographique et culturel des deux endroits que nous relions. Les hommes vivent trop vite, écrivait Thoreau et l’avion en est, pour moi, un des symboles criants. Isolé dans un univers artificiel pressurisé à dix mille mètres du sol et parcourant plus de 800 km en une heure, il existe un risque que la prise de conscience de la distance physique et culturelle parcourue n’ait lieu que plus tard sous forme alors d’un choc, d’une explosion de perceptions qui peut susciter incompréhension voire une inaptitude à gérer ce changement. On s’expose à une irréalité qui se prolongera une partie, voire la totalité, de notre périple, nous faisant ainsi passer à côté de l’essence même du mouvement : se retrouver, entièrement, à un autre endroit, âme et corps.

Voyage en train Vers Sarajevo

Et se dire encore et encore que le train c’est chouette

Les trains, c’est autre chose… Enfin c’était car de plus en plus de gares et de trains ressemblent aux aéroports et avions. La vitesse et l’efficacité à tout prix. L’uniformité en maître. Dommage.

 

Voyage en train Vers SarajevoN’être jamais d’où qu’on soit
N’être de Nulle part
Ou de Partout ?
Avancer au gré jusqu’à trouver
Si ailleurs, il y a à espérer
S’arrêter parfois
Le temps d’épuiser sa foi
Dans ce nouveau possible
Qui déjà n’est plus
La liberté comme essence
D’errer toujours à contresens
Pour arpenter les voies ferrées
Affairé à trouver une voie
Qui sans issue ne soit
Qui, peut-être, comme l’horizon
Sans cesse loin devant moi
Reste une illusion.

                                          J.S.

 

Voyage en train Vers Syracuse

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