
Errances dans le Luxembourg belge
Partons à la découverte du Luxembourg belge, une terre façonnée par ses forêts denses peuplées d’animaux sauvages et d’êtres mystérieux, ses rivières sinueuses et ses villages de pierre.
Sept auteurs, enracinés dans leur région, vous invitent à explorer cette province sauvage à travers leurs récits uniques. Ces histoires vous transporteront des bords de la Semois aux forêts de Saint-Hubert, des mystères de la Gaume aux souvenirs vibrants de la Bataille des Ardennes, en passant par des lieux emblématiques tels que le Tombeau du Géant ou l’arboretum de Rendeux.
Chacune de ces errances est une aventure, une rencontre, une immersion dans l’âme du Luxembourg belge. Entre passé et présent, leurs voix révèlent un territoire méconnu, loin des sentiers battus et des clichés touristiques.
Ces sept récits sont signés par Florence Burette, Hélène Couvert, Quentin Dekimpe, Cécilia Duminuco, Mathieu Galerin, Julie Jacquemin et Émilie Pira.
Ce livre a été publié avec le soutien de la Province de Luxembourg.
La signature et la carte sont signées PaliX.
Une question aux 7 auteurs
Qu’est-ce que l’errance pour vous ?
Émilie Pira : « L’errance, je l’ai découverte grâce à ce projet. D’habitude, j’aime avoir une vie organisée, planifiée (mais qui peut tout maîtriser ?). Accepter l’errance représentait donc un défi, un saut dans l’inconnu, et pourtant, quelle respiration ! Partir avec quelques idées en tête, puis se laisser porter, s’égarer, bifurquer, s’attarder là où rien ne l’annonçait. Et tant pis si on revenir sur ses pas. L’essentiel est d’oser.
Mais, l’errance n’est pas que l’affaire de chemins et de sentiers. Elle est aussi intérieure. Ouvrir une parenthèse, se détacher des contraintes, permettre à son esprit de flâner loin du quotidien. Quelle liberté ! Une façon de lâcher-pris et de se redécouvrir, de me redécouvrir. »
Julie Jacquemin : « Avant le début des ateliers, l’errance ne m’évoquait pas grand-chose si ce n’est un terme vague avec des contours peu définis. Et surtout, je ne m’étais jamais posé la questions.
Une fois mon errance réalisée, je me suis rendu cimpte que l’image que je m’en faisais était en réalité assez juste : ces contours peu définis. Errer, c’est avancer dans le flou, le vague, l’incertain. C’est savourer l’instant. C’est oublier tout ce que l’on sait pour se laisser porter. »
Mathieu Galerin : » L’errance, pour moi, c’est à la fois un vertige et un appel. Ce n’est pas seulement le fait de marcher sans destination, mais une manière d’être au monde, un dialogue avec l’inconnu. Errer, c’est accepter de ne pas tout maîtriser, de se laisser porter par les chemins qui s’ouvrent sous nos pas, comme une rivière qui ne se bat pas contre son lit mais épouse les refliefs qu’elle traverse. La Semois, qui serpente à quelques mètres de chez moi, connaît parfaitement cette errance fluide et libre. Elle ne va jamais droit, elle prend son temps, s’attarde, contourne, mais avance toujours. Dans l’errance, il y a cette part d’abandon volontairen une confiance en ce qui vient, même si c’est l’incertain. C’est souvent dans ces détours imprévus que surgissent les rencontres, les paysages insoupçonnés, les pensées nouvelles. Mais errer, ce n’est pas seulement marcher. C’est parfois une errance intérieure, une oscillation entre doutes et élans, entre solitude et recherche de lien. Parfois, on croit être perdu alors qu’on est justement en train d’apprendre une nouvelle manière d’exister. L’errance, c’est accepter qu’il n’y ait pas toujours un point d’arrivée, et peut-être même, que ce soit précisément cela qui donne du sens au voyage. »
Cécilia Duminuco : « Errer, c’est s’ouvrir à l’inconnu et à l’inattendu. C’est se permettre de se perdre pour mieux se retrouver. »
Florence Burette : « Le début d’une errance c’est : coeur qui déborde, des paillettes dans le regard et des pieds qui gigotent. Ça part d’un rien : une faille, un doute, un déraillement ou la sensation d’étouffer dans un quotidien monotone. Une fois que la décision d’errer est pris, l’espace s’élargit pour dévoiler un nouveau sentier ou un bus aux sonorités exotiques. Une joie pétillante balaie nos frontières intérieures, des histoires se tissent au fil des pas et les mondes visibles et invisibles s’entrecroisent. J’aimerais que cet état dure toujours, mais puisqu’il faut revenir, je prolonge le voyage en faisant danser un crayon sur les pages d’un carnet. »
Hélène Couvert : « L’errance : il y a de l’air dans ce mot, un double « r ». C’est un mot qui dit sors, va chercher du sens dehors. Nourris-toi de chemins, de paysages, de ciel et d’arbres. Utilise tes pieds, ton corps tout entier, respire cet air tant que tu peux. Cherche l’image suivante au bout de la route et du monde. Comme les derviches et les sages. Marche. L’errance, c’est se dire je vais là où je ne sais pas comment ça sera. Ni quand. C’est le contraire de l’agenda, ton seul horaire c’est la rencontre avec toi. Ton seul rendez-vous : les pieds dans la terre. La tête dans les étoiles. Le coeur au milieu. »
Quentin Dekimpe : « L’errance, c’est sans doute une des seules vraies formes de liberté qui nous restent. Errer, ce n’est pas juste se laisser porter : pour ça, il y a la routine. Au contraire, quand on erre, son carnet de notes ou de croquis à la main, on ouvre son regard à l’infinité de chemins qui s’offrent à nous. On prend conscience de chaque embranchement, on anticipe chaque découverte, on s’émerveille des conséquences de nos plus petits choix. C’est ce que j’ai vécu à travers cette expérience – et je ne pourrais plus m’en passer ! »
Extraits
À une époque où chaque minute doit être exploitée, rentabilisée, je tente de privilégier la lenteur. Je m’arrête pour lutter contre le toujours plus, toujours plus vite et capture quelques images. La photographie a cette faculté de créer des moments suspendus. Cadrer, choisir la bonne lumière, le meilleur angle de vue. Donner aux paysages familiers, aux fermes mêlées aux plaines, une couleur inédite. Et à travers l’objectif, dans le tumulte de nos vie, prendre le temps de respirer.
« Dans tes pas – Vers Noville » par Émilie Pira
Je suis arrivée à Neufchâteau, il y a six ans. Pour retrouver ma liberté. Quitter une vie qui ne me convenait pas. C’est quelque chose qui peut filer, la liberté. Je voulais la rattraper. J’ai pris ma voiture, mon corps savait où aller : E411. Sortie 27. Neufchâteau/Verlaine. J’ai trouvé refuge chez ma soeur en Ardenne. (Attention, il faut dire l’Ardenne et pas les Ardennes. Si tu dis les Ardennes, t’es repérée, on sait que tu ne viens pas d’ici.) Je suis arrivée à Neufchâteau comme ça. (…)
« Neufchâteau » par Hélène Couvert
À ce stade, j’ignore toujours ma destination. Moi qui avais l’intention d’aller voir l’aube se lever sur le village voisin, je ne suis plus si sûr de vouloir parcourir des itinéraires connus. Un lièvre silencieux me révèle un chemin auquel je n’avais jamais prêté attention. Je me laisse dérouter. On n’atteint pas la Patagonie par des chemins balisés.
Ni en regardant sa montre toutes les cinq minutes.« Grune, Patagonie » par Quentin Dekimpe
J’entame cette nouvelle marche, excitée par l’aventure qui s’annonce. Matis traîne les pieds. Il râle, grave. Mon excitation est mise à mal en quelques enjambées. Cul-de-sac. On est en surplomb de la forêt. Une piste rouge à nos pieds. Mon fils lève les yeux au ciel et commence à faire demi-tour. Je ne me débine pas. Je le rappelle. Mon chaton s’est transformé en matou hargneux. J’ai beau le caresser dans le sens du poil, lui parler du jacuzzi qui nous attend, il ne veut plus rien savoir. Il fulmine. Je jubile. Sûre de mon coup. C’est parti pour une rouge en hors-piste. (…)
» Sois prudente, s’il te plaît » par Julie Jacquemin
Tandis que nous contournons l’église, un vrombissement inhabituel me sort de ma torpeur. Le bruit rauque se rapproche et c’est alors que je l’aperçois, riant de toutes ses dents : un magnifique bus jaune. D’ordinaire, aucun transport publique ne traverse le village à cette heure. Serait-il spécial ? Le chauffeur me salue. Par réflexe, je lui réponds d’un signe de la main. Il freine. Surprise, je regarde autour de moi et remarque une pancarte neuve indiquant un arrêt. En lettres blanches sur fond jaune, deux mots aux sonorités exotiques : « LIGNE EVASION » – j’y lis une invitation.
« L’heure creuse » par Florence Burette
Sur le sentier, le temps a changé de visage. Là où je le voyais comme un ennemi, il est devenu un compagnon silencieux. J’ai appris à être présent : sentir la terre sous mes pieds, savourer l’eau simple de ma gourde, accepter la pluie comme une bénédiction. Chaque pas compte, même ceux que l’on croit insignifiants. C’est dans cette lenteur que j’ai retrouvé une liberté que j’ignorais avoir perdue.
« Comme une rivière » par Mathieu Galerin
Passage à gué, mes pieds sont nus dans le ruisseau. Les galets tantôt massent tantôt déchirent ma peau, j’avance en clapotis incertains. Frétillements autour de mes chevilles, des dizaines d’éclairs noirs annoncent la présence de têtards. Un peu plus loin, à la pointe de l’îlot, là où l’Ourthe cascade, les canards prennent leur bain en famille. Caresses du soleil couchant, inspire, expire, rien ne compte sinon l’instant.
« Éclats d’Éden » par Cécilia Duminuco
On en parle
La chronique littéraire d’Alicia Morette : « Errances dans le Luxembourg belge », recueil collectif sur VivaCité Luxembourg (12/03/2025)
Sur TVLux : « Foire du Livre : Publication du projet Errances dans le Luxembourg belge » (14/03/2025)
Un article de Julien Bil dans l’Avenir : « Sept belle errances littéraires en province de Luxembourg à découvrir au sein d’un recueil collectif » (17/03/2025)