En roulotte à travers l’Europe centrale.
Une errance hippotractée
Le hasard n’est-il pas le meilleur et le plus idéal des artifices pour rencontrer les autres ainsi que soi-même ? L’improvisation, la vulnérabilité, l’amateurisme, les voies nécessaires pour s’offrir pleinement à l’étranger et au destin ?
En embarquant dans une nébuleuse ambition de voyage hippotracté, Clément et Damien ignorent tout des connaissances qui leur seront nécessaires, de leur itinéraire ou de la vie nomade. En s’abandonnant à l’inconnu et aux mains de leurs rencontres bienfaitrices, ils s’interrogent sur cette Europe centrale si peu familière et sur leurs habitants, insondables et accueillants.
Croyant accomplir un pseudo exploit distinctif dans un monde balisé de toutes parts, ils se délectent d’une existence monotone et trépidante, romantique et triviale, au rythme du pas des chevaux.
Du Nord de la Croatie au Sud de la Pologne au rythme des pas de Linda et Lili, leurs juments. Une errance hippotractée faite de rencontres, de fous rires, de larmes parfois et de surprises, qui musarde sur les routes campagnardes de Croatie, Hongrie et Pologne, se construit avec les habitants, se transforme en épopée. Un récit profondément humain de deux jeunes aventuriers loufoques et attachants.
Trois questions aux auteurs
1/ Quel genre de voyageurs êtes-vous ?
Nous sommes l’antithèse accidentelle du tourisme moderne. Mal préparés quand tout se planifie, crédules quand la méfiance est de mise et affamés de banalités quand on rêve d’exotisme original. Nous aimons laisser une place importante à l’improvisation et se cacher derrière cette excuse pour justifier notre insouciance. Nous fixons un but assez vague et laissons le soin à notre flexibilité de nous emmener jusque là. Partir les poches peu remplies ou les vider rapidement, car l’abondance tue la créativité. Parce qu’on est trop fainéants pour viser l’excellence, trop nigauds pour être efficaces et trop facilement attendris pour être détachés des êtres et des lieux, cheminer lentement au hasard nous convenait alors et nous convient encore à merveille.
2/ Pourquoi vous être lancés dans un voyage en roulotte alors que vous n’aviez aucune expérience dans ce domaine ? Qu’est-ce qui vous a animé ?
Damien ne peut se défaire de livres dont il avale plusieurs centaines de pages par mois. Clément doit caresser en permanence l’ambition chimérique d’attraper quelques truites dans des ruisseaux et ne peut se passer d’un kit minimal de matériel de pêche. En sus, nous tenons chacun à notre manière à notre confort. Damien car ses articulations traitresses ne lui pardonnent pas longtemps des couches ingrates. Clément parce qu’une assiette bien garnie et un sommeil réparateur ne peuvent lui être supprimés plus de quelques heures. Enfin, tirer des coups francs et des transversales est la clef de voûte d’une hygiène de vie digne de ce nom. On a pensé au bateau, la raison nous a ramenés vers le cheval. Nous n’avions aucune expérience dans ces domaines, mais nos chances de survie étaient plus élevées sur la terre ferme. Nous étions avides d’aventures et de chevauchées anachroniques. La roulotte était la garantie de notre confort. Une odyssée c’est bien, la vivre dans un lit douillet à côté d’une bibliothèque, c’est mieux.
3/ Qu’est-ce que ce voyage a changé en vous ?
En quittant la Belgique, nous nous sommes littéralement jetés corps et âme dans ce voyage. Nous nous sommes livrés au bon-vouloir de dizaines d’inconnus. Nous étions en position de faiblesse, ils pouvaient à tout moment réserver un funeste destin à tout l’équipage. Il n’en fut rien. Pour les rares personnes mal intentionnées ayant croisé notre sillage, nous en avons rencontré 50 à qui nous aurions confié nos chevaux sans inquiétude. Pourtant, dans bon nombre de situations, nous avons imaginé le pire. “Et si…, et si…” Aucun de ces scénarios ne s’étant réalisé, nous nous inquiétons moins et nous nous confions plus facilement à autrui. Le voyage est le miroir déformant de nos émotions et sentiments. L’on distingue en trompe l’œil chez l’inconnu les mêmes passions et angoisses que celles qui nous animent. En les rencontrant en l’autre, nous nous rassurons sur notre commune humanité. Ça a grandement modifié notre empathie pour nos contemporains.
Extraits
Récapitulons. Pas d’itinéraire fiable, pas de connaissances juridiques sur la faisabilité du projet, pas de connaissances hippiques, peu de moyens et de la niaiserie à revendre. Ce voyage est une ode à l’amateurisme. Ainsi, alors que tout semble jouer contre nous, nous-mêmes en premier, notre chemin croise celui de Marko. Sa maxime préférée est « Le plus intelligent abandonne en premier ». Notre insouciance n’a que les limites qu’on lui impose.
Avant de passer aux choses sérieuses, le travail au sol à la longe renforce la communication des consignes. Ainsi, hod et bista gouvernent la gauche et la droite quand kas et hauw valent pour l’accélérateur et le frein. Les juments apprennent aussi à se connaître. Dans un premier temps séparées, y compris visuellement, elles ne peuvent que s’entendre ou se sentir. Elles hennissent énergiquement. Nous ne pouvons savoir s’il s’agit de saluts ou d’insultes. Doucement, nous les rapprochons jusqu’à les loger dans le même espace à distance de mâchoire. C’est une amitié fragile et inégale qui se bâtit lentement entre ces partenaires de galère.
(…)
La vie est brutale, mais il appartient au cavalier de se remettre directement en selle après sa chute. La raison d’être de notre voyage, c’est le nomadisme. Le mouvement. La fuite. L’espace. Les grands horizons et les denses forêts. Or, en ce beau printemps, nous restons immobiles comme les légumes du potager des Longarevic. Nous contemplons nos connaissances sans en récolter les fruits. Si les chevaux semblent s’accommoder de leur nouveau mode de vie, fait d’exercices et de nourriture plus relevée, nous trépignons d’impatience de nous tirer d’ici.
(…)
Pour franchir le Danube, le premier pont depuis Pécs se trouve à Baja, à quelques journées au nord-est. Nous constatons que le pays est particulièrement plat et veiné de rivières massives. De plus, 50 ans de dictature communiste friande de grands travaux ont paré aux inondations en construisant de hautes digues de terre. Cerise sur le gâteau, ces ouvrages sont à chaque fois surmontés de macadam interdit aux voitures. Les Hongrois ont, sans le vouloir, construit de véritables autoroutes pour hippotractions. Ces voies rapides nous permettent d’atteindre des distances journalières respectables environnant les 40 kilomètres. Ces zones inondables sont peu propices à l’agriculture intensive et nous trouvons un environnement qui sied à merveille au voyage hippomobile. Prairies en fleurs à perte de vue, pas l’ombre d’un flic ou d’un camion pour nous frôler à toute vitesse, nous profitons de cette quiétude naturelle et printanière.
On en parle
« Ne plus amasser de mousse » une revue de Fanny Lamby dans Le Carnet et les Instants (25/02/2023)