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Vers Belfast. Une errance ferroviaire

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Embarquons pour une nouvelle errance ferroviaire. Cette fois, ni vers l’Est ni vers le Sud, mais en direction de l’Ouest : Belfast !

De Bruxelles à Londres, puis Dublin et une remontée de l’île verte vers Belfast. Partir sur les traces de notre histoire contemporaine. Comprendre les origines de notre société marchande et du libéralisme. En voir les effets en Grande-Bretagne où l’intérêt privé constitue la règle. Partir pour une plongée dans l’âme tourmentée de ce bout d’Ulster où les larmes peinent à sécher et se demander comment se vit le présent. Puis, sur d’autres rails, arpenter les terres sauvages et mystiques d’Écosse où la nature sauvage propose au voyageur un spectacle sans pareil.

Une nouvelle errance ferroviaire engagée et littéraire portée par la musique, l’histoire, les paysages et la nature humaine irlandaises, écossaises et anglaises.


 

Trois questions à Joël Schuermans

1/ Pourquoi avoir choisi pour cette quatrième errance Belfast ? Pourquoi, et comment, cette ville habite ton imaginaire ?

Belfast, dans ses ombres comme dans ses lumières, s’est imposée à moi comme une évidence irréfutable pour cette quatrième errance. L’idée sommeillait depuis longtemps dans mon imaginaire de voyageur, occupant une place de choix dans la liste patronymique de ma poésie géographique intime. Cette ville aux confins du Royaume-Uni, riche d’une histoire complexe et tourmentée, agit comme un aimant pour les âmes en quête de récits marqués par les stigmates du passé, la fureur humaine et les lueurs d’espoir, la foi en une renaissance même quand tout semble désespéré. En choisissant Belfast, je désirais plonger au cœur d’une métamorphose, témoigner de la manière dont une cité peut se réinventer, cicatriser ses plaies béantes au fil du temps, passer du sombre à la lumière, de la manière dont finalement on peut rebondir quand la vie a fait rage.

Belfast habitait mon imaginaire comme une vieille ballade irlandaise qui raconte avec nostalgie et mélancolie les époques révolues, la bravoure d’un homme ou un amour impossible. La ville est un personnage à part entière, une muse qui se révèle dans le grondement des docks comme dans le murmure de ses rues venteuses. Elle incarne cette lutte entre l’ancien et le nouveau, entre les réminiscences d’un conflit qui a longtemps défini ses contours et les aspirations d’une population résolument tournée vers l’avenir.

Ainsi, en déambulant à travers Belfast, je me suis laissé guider par les échos de cette dualité, cherchant à capturer l’essence d’une ville qui, tout comme la pensée du voyageur alors qu’il la traverse, ne cesse jamais de se redéfinir. C’est cette quête incessante d’identité, ce dialogue entre l’avant et l’après, le deuil et la renaissance qui m’a inspiré et que j’ai souhaité restituer dans le récit de cette errance.

2/Lors de tes autres errances ferroviaires, un vent de liberté t’animait. Était-ce le cas cette fois-ci ?

Lors du départ pour ce voyage vers les contrées souvent méconnues de l’Irlande du Nord, un vent de liberté m’agitait, mais avec une nuance inattendue, teintée cette fois d’une certaine mélancolie. Puis en rails, et si traditionnellement mes voyages en train m’offrent un sentiment d’émancipation, une ouverture vers l’inattendu, cette fois-ci, les réalités du système ferroviaire britannique m’ont quelque peu rappelé à l’ordre.

En effet, les chemins de fer privatisés, avec leur cortège de réservations obligatoires et leur obsession sécuritaire, ont imposé une rigueur qui contrastait avec la liberté désirée. Cette structure, au but de cadrer avec la sacro-sainte gestion efficace et moderne, s’est parfois dressée comme une barrière à la spontanéité de l’aventure. Chaque trajet devait être prémédité, chaque déplacement planifié, érodant ainsi l’essence même de l’imprévu qui alimente l’esprit du vagabond délibéré. Toutefois, la beauté saisissante des paysages irlandais et écossais, la richesse de l’Histoire et la chaleur de leurs habitants ont souvent réussi à transcender ces contraintes. Ces îles, avec des lignes d’horizons étendues sur ce qui semble l’infini et une nature omniprésente, offrent un puissant rappel de ce qu’est l’espace sauvage mettant à nouveau en exergue ce paradoxe du voyage moderne : souhaiter la nature, mais s’y rendre avec un moyen artificiel. Pour conclure, même si cette errance ferroviaire fut plus structurée, le désir de baguenaude n’a jamais totalement disparu; il a simplement pris une forme différente, me forçant à trouver l’émancipation au sein même des limites imposées. Une métaphore de nos existences qui se retrouvent étriquées dans des limites strictes, mais avec une certaine latitude où il est nécessaire de louvoyer pour avoir l’impression d’une existence réelle.

3/ Quels conseils donnerais-tu pour réaliser une errance de lautre côté de la Manche ?

Pour s’aventurer en train de l’autre côté de la Manche, il convient d’abord de se libérer des attentes habituelles et d’accepter les surprises que réservent les chemins moins battus que sont le pays de Galles et l’Ulster. S’imprégner aussi de l’idée que, malgré les contraintes des réservations obligatoires et un cadre ferroviaire rigide, ce voyage peut devenir une quête personnelle enrichissante, un fil narratif tissé au gré des rencontres et des paysages.

Je vous invite donc à approcher ces terres avec un esprit ouvert et une préparation intellectuelle mesurée, non sans une dose de spontanéité. Emportez avec vous le désir d’errer avec le souvenir de lectures d’auteurs comme O’Flaherty, Chalandon, McLiam Wilson ou Judith Perrignon. Ils aident à comprendre et à percevoir une partie du passé et du présent qui nous échappe lorsqu’on ne fait qu’être un passant, une ombre furtive en des lieux à l’histoire complexe. Laissez les villes et les villages vous révéler leurs secrets à leur rythme, sans hâte, avec la curiosité d’un flâneur.

Immergez-vous dans l’ambiance unique des pubs locaux où la musique et l’alcool délient les langues et font fraterniser les âmes, engagez la conversation avec les habitants, et laissez les légendes du lieu enrichir votre expérience. Les récits capturés au détour d’une ruelle ou sous la lumière tamisée d’une enseigne sont souvent ceux qui restent gravés dans la mémoire et qui permettent de transformer le fantasme d’une destination en un souvenir qui façonnent ce que nous devenons au fil des voyages.

Marchez aussi, autant que vous le pouvez, car c’est à pied que l’on mesure véritablement le pouls d’une ville. Faites-le avec un carnet à portée de main, pour y dessiner ou y coucher les impressions fugaces, les éclats de lumière sur un vieux bâtiment, la mélancolie d’un après-midi pluvieux, le fragment d’un air folklorique chanté par une voix cristalline et toutes ces perfections imparfaites qui font le sel de l’aventure. L’esprit ainsi préparé, chaque pas, chaque mètre parcouru à bord, construira une histoire dans laquelle chaque instant devient un jalon de votre propre épopée romanesque.

Extraits

Dans le tourbillon incessant de mes songes vagabonds, l’Irlande a toujours occupé une place singulière. Et il en va de même pour l’Angleterre, l’Écosse et le pays de Galles. À la fois si proches et si lointains. Avec une impression d’en connaître beaucoup à leur sujet, mais qu’en savons-nous au juste ? Terres de légendes, de drames, de beautés, de tristesse, mais encore ? Mon périple en train allait traverser ces régions, comme une promesse d’un début de réponse. Ce voyage serait un passage sur les premières lignes de chemin de fer de l’histoire, une itinérance à travers des îles où chaque colline, chaque vallon, raconte l’épopée des peuples qui les ont façonnés — des récits tantôt héroïques, tantôt tragiques. Une errance en train à travers des paysages où l’eau, la roche et la végétation s’entremêlent pour constituer une fresque vivante, un tableau de maître d’une beauté saisissante.

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Détenir un pouvoir absolu sur l’autre sommeille en de nombreux hommes. Rien de mieux qu’un conflit pour ne pas devoir se rendre au boulot, ne pas s’occuper des tâches domestiques, rompre avec la routine familiale ou conjugale et surtout transgresser toutes les limites. Quand un meneur au charisme trempé parvient à faire prendre des vessies pour des lanternes à suffisamment de gars désabusés et que ce prétexte semble assez solide pour justifier que l’on tue son voisin et viole son épouse, il n’y a alors plus de raisons d’hésiter. La cause devient à ce moment-là un impératif, transformant la violence en un acte de courage et de fidélité et qui autorise toutes les exactions. Ne pas y aller serait même de la lâcheté. Ainsi, Belfast, témoin supplémentaire des luttes fratricides, se dresse comme un symbole de plus des tragédies humaines où l’histoire, la politique et les passions personnelles s’entremêlent, créant un théâtre d’absurdités et de douleurs aussi profondes qu’inutiles.

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À Thurso, la vie est belle, tant que la musique joue, que la gnôle emplit les verres et que les femmes dodelinent. On me sacre client d’honneur du bar. Un prétexte pour m’imposer un tord-boyaux fait d’un alcool blanc non identifié vieilli vingt ans en fût, me dira-t-on pour me convaincre du privilège. Avalé d’une traite, je vois toute mon existence défiler, sans la lumière blanche, ce qui me rassure un peu. J’ai l’impression d’être un espion qui par mégarde a ingurgité le cyanure logé dans sa fausse dent. Le violon, la guitare et la flûte s’emballent. On m’emmène pour danser. On tourne et virevolte. De bras en bras. Les rires gras sortent de grandes bouches trop ouvertes. L’ébriété a transformé ces inconnus en amis, ces dames en déesses, ce bouge écossais en paradis, c’est un samedi soir sur les « terres d’en-haut », les Highlands.

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