Tabakoroni, un conte d’aujourd’hui
En 2018 et 2019, j’ai été recruté pour assurer le soutien médical d’une mission d’exploration minière. L’état malien et la société australienne qui se partageront respectivement les 20 et 80 % de tout ce que la terre pourrait contenir comme or ont décidé de mettre le paquet pour qu’aucun filon ne leur échappe.
Résultat : ce bout de terre situé aux confins du sud Mali, à un jet de pierre des frontières ivoirienne et burkinabé, se voit labouré jusqu’à la moelle grâce à l’armée de pelleteuses et camions terrophages.
Je garde de cette mission à laquelle j’ai renoncé un souvenir cauchemardesque.
J’ai assisté là à l’incarnation de l’anthropocène irraisonnée, à un exemple de fuite en avant à la recherche de richesses, peu importe les conséquences, et ce, tant qu’on dispose encore de suffisamment de pétrole bon marché pour abreuver l’appétit vorace des monstres d’acier. Les hommes et les machines s’épuisent 24h/24h, chaque jour de l’année, pour extraire de l’or qui enrichira surtout ceux qui ne creusent pas, ceux qui ne sont pas de là.
Et là, comme ailleurs, pendant qu’on la crève, la Terre se meurt, les rivières se vident, les arbres tombent et après le passage des anéantisseurs, il restera un désert plombé de cyanure et de métaux lourds et des populations qui comprennent déjà, qu’à nouveau, elles n’auront que les inconvénients de la confiscation et destruction de la terre de leurs ancêtres.
Bienvenue à Tabakoroni, là où on détruit pour l’or tant qu’on le peut encore.
Au début, il n’y avait pas d’Hommes ici
Juste la forêt et ses habitants
Puis les Samoghos sont venus
Peu nombreux
Ils ont alors tué quelques gros gibiers pour se nourrir
Il fallut quelques arbres pour faire du charbon et cuire ces lions
Puis l’Homme s’est reproduit
Et d’autres les ont rejoints
Alors, il a fallu tuer d’autres bêtes
Et, pour les griller, abattre d’autres arbres
Le gibier a commencé à manquer
Alors, ils ont abattu des forêts, petites
Il fallait faire pousser de quoi manger
Car, les villages se sont multipliés
Et tous les grands animaux restants ont disparu
Chassés, rôtis et mangés ou expropriés
Alors, on a fait venir des vaches et des chèvres
Il a fallu déboiser plus, pour qu’elles paissent
C’est là que d’autres hommes sont arrivés
Des Français, puis des Américains, à ce qu’il parait
Le temps d’avant, c’était fini
Eux, ont déboisé pour creuser
Des grandes forêts, cette fois
C’était de l’or qu’ils cherchaient
Et eux, ils ont beaucoup creusé
Il n’y avait pas assez de gens pour creuser, on en a fait venir d’ailleurs pour creuser plus
Ceux qui se sont enrôlés venaient de loin dans le pays et même d’autres pays
Ils ont bien obéi en travaillant dur
Avec de grosses machines
De très grosses machines
Les gens étaient contents, car ils ont eu de l’argent, un peu
Grâce à ces salaires, les banques ont fait affaire avec eux
Ils ont pu signer des papiers pour des crédits
Et payer de longues années une petite maison sur la terre des Samoghos
Eux, ils regardaient ce qu’on faisait de la terre de leurs ancêtres
Et ces gens d’ailleurs construire des maisons, des ponts et d’étranges installations
Et ces gens ont creusé plus et plus loin
Et encore
On a alors eu besoin de grands bassins remplis d’eau
Pour diluer du cyanure et du souffre aussi
Des poisons nécessaires pour un rendement digne de ce nom
Ensuite, on a creusé à nouveau
Et pompé l’eau des rivières
Et fait des digues tout autour
Et mis cyanure et souffre dedans
En attendant
Des milliers d’hommes creusent, aidés par les machines gigantesques
Alors, certains descendants Samoghos ont arrêtés leurs activités
Pour commencer à creuser, comme tous les autres
Tant d’or quitte le pays par avion qu’eux aussi en aimeraient, un peu
Le long des hautes clôtures gardées
Du mauvais côté, ils se sont installés
Outillés de simples bâtons et baquets plastiques
Femmes et enfants, sous le soleil brûlant
Plus de temps pour le palabre et la théière
Dans la poussière, tous les jours durant
Le mirador a remplacé l’arbre de toute manière
Car, il faut creuser, ou notre tombe, ou pour trouver l’or
Pour quelques poussières de rêves
Des villages entiers de mineurs amateurs,
Autour des périmètres confisqués
Pour une hypothétique part du rêve doré
Et maintenant, Noirs et Blancs,
D’ici et d’ailleurs, creusent
Jour et nuit
Tous les jours
Tout le temps
Tous les ans
Longtemps
10 ans
Très longtemps
20 ans maintenant
Les animaux sont tous partis
La forêt, aussi
L’eau, aussi
Puis creuser
Creuser encore
Pour de l’or
Là aussi, les hommes ont mangé la Terre
Et là-bas, c’est comme plein d’ailleurs
Et demain ?
On ira plus loin
Jusqu’à la fin
Jusqu’à ce qu’il ne reste rien
Plus rien
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