6 semaines à Benoni, l’Afrique du Sud autrement

par | 3 Mai 2018 | Afrique du Sud

Début 2017, nous avons été amenés à passer 6 semaines à Benoni, une ville située à une vingtaine de kilomètres de Johannesburg, en Afrique du Sud. Six semaines pendant lesquelles j’ai vécu à un autre rythme, dans un autre monde, confrontée à une réalité et à des peurs pour lesquelles je n’étais pas préparée. Nous étions installés dans un Bed & Breakfast charmant dans le quartier de Northmead, un quartier résidentiel de la classe moyenne. Et pendant ces 6 semaines, j’ai ressenti comme une gêne.

En allant en Afrique du Sud, je m’imaginais les grands espaces et les animaux. Je m’imaginais découvrir un pays où, malgré la violence dont parlent les médias occidentaux et le passé douloureux, l’énergie et l’envie de vivre ensemble étaient bien présentes. Et puis, j’avais des images d’Afrique, de l’Afrique que je connais, d’Afrique de l’Ouest. Je ne m’étais pas du tout renseignée sur le pays. Juste mes connaissances lointaines de l’Apartheid, des townships, de Mandela et quelques romans d’André Brink. Je ne connaissais pas la situation politique, économique et sociale actuelle. Je voulais découvrir Johannesburg, me promener dans ses rues, ressentir le rythme de la ville. Je voulais voir les grands parcs et admirer les grands espaces. Je voulais partager des moments de vie, me déplacer librement, rencontrer des gens.

Une expérience troublante

Là, à Benoni, je me suis retrouvée confrontée à une autre réalité. Troublante, parce qu’on a l’impression d’être dans un pays européen mais que les codes ne sont pas les mêmes. Angoissante, car les personnes que nous avons côtoyées nous transmettaient leurs peurs et leurs ressentiments. Triste, de tous ces destins brisés, de cette violence, de ce passé dont ils ne semblent pas sortir. Déstabilisante, parce qu’on ne peut s’appuyer sur aucun repère ni sur aucune référence connue. Gênante, parce que je suis blanche dans un pays où, jusqu’à ce qu’il y a peu, les blancs représentaient l’oppression.

À Benoni, j’ai vécu derrière des barreaux surmontés de fils électriques. Je me suis sentie enfermée, assignée à résidence, surprotégée. Ici, que ce soit en Belgique ou en France, nous n’avons pas l’habitude de mettre des clôtures électrifiées autour de nos maisons. Les jardins sont le plus souvent ouverts. Dans les villages, on laisse même les portes ouvertes. On va faire les courses à pied si le magasin n’est pas trop loin. On observe la vie extérieure sans barrières. À Benoni, et sûrement ailleurs en Afrique du Sud, dans les quartiers favorisés, on vit enfermé, replié sur soi. Par sécurité. Par peur. Et cela m’a profondément marquée, choquée même. Pourquoi ? Pourquoi s’enfermer ? Pourquoi prendre sa voiture pour aller au supermarché à 500 mètres ? Et puis, on entend les histoires de la famille qui nous héberge, de leurs amis et même de leurs employés. Les home-jackings, les car-jackings, les vols à l’arrachée, les menaces armées, les coups de poignards… C’est une réalité. On se dit que, oui, effectivement, il vaut mieux protéger sa famille en se coupant du monde extérieur. Se créer un monde sûr et apaisant. Que ferions-nous, nous, si nous étions à leur place ? Nous ne le sommes pas. Et nous ne pouvons pas juger. Juste ressentir un malaise. Et se laisser peu à peu gagner par la peur aussi… Même si on décide de se balader dans les rues du quartier avec son appareil photo, même si on se rend aux différents centres commerciaux à pied et qu’on rentre à la nuit tombée, même si on sourit aux quelques rares passants que l’on croise… Il y a toujours cette pointe d’angoisse. Parce que nous nous disons que nous n’avons rien à faire là ! Bien sûr, toutes les maisons ne sont pas sécurisées. Quelques exceptions qui redonnent foi.

Dans les rues de Benoni

Lors de notre séjour à Benoni, nous avions décidé de ne pas louer de voiture. Enfin, nous pensions qu’il nous était impossible de louer une voiture car nous n’avions pas de permis de conduire international et il ne nous était pas possible de faire les démarches depuis l’Afrique du Sud pour en obtenir. Nous comptions donc sur les propriétaires du B&B pour nous déposer à la gare ou pour nous indiquer la meilleure façon de nous rendre quelque part. Du fait de ne pas pouvoir nous déplacer librement, nous n’avons pas vraiment profité de notre séjour pour découvrir Johannesburg et ses environs. Nous avons vécu au rythme lent de Benoni et des gardes de Joël. Nous avons jardiné, bricolé, observé la vie des fourmis et soigné un oisillon tombé du nid. Comme dans une parenthèse temporelle. Encore une

Les premiers jours, on nous accompagnait jusqu’aux centres commerciaux qui constituaient nos seuls buts de sortie. Ensuite, nous avons pu nous y rendre en toute indépendance. On nous avait déconseillé de nous balader dans le quartier. J’ai insisté. La première fois, je suis sortie sans mon appareil et on m’a suivi. Les fois suivantes, je suis partie sans rien dire. J’ai arpenté les rues de Northmead en découvrant à chacune de mes sorties de nouvelles choses. J’ai observé la vie : les jardiniers, les employées de maison, les chiens, les jeunes qui rentrent de l’école, les braai dans les jardins… Et j’ai essayé de transposer cette vie, apparemment paisible, quelques années plus tôt. Comment était-ce ? Les choses ont-elles réellement changé depuis l’événement (c’est ainsi que les propriétaires appelaient la fin de l’apartheid) ? Il règne dans ces rues une certaine intemporalité. Comme si tout était suspendu, bloqué dans le passé. Mais est-ce le cas ?

De Johannesburg

Et puis, chacune de mes tentatives pour aller à Johannesburg ou proposition était reportée au lendemain ou fortement déconseillée. Un dimanche, j’ai pu aller à Johannesburg, avec le Gautrain, un train hyper moderne et rapide, un train où la sécurité semble être la priorité. Je suis alors allée au Rosebanks Sunday Market. Un marché bobo et vintage dans un beau quartier de Johannesburg. On y trouve des produits locaux, de l’artisanat, des souvenirs pour les touristes, une brocante étonnante, une aire de jeux pour enfants, des plats du monde, des concerts… Il y règne des odeurs et des musiques d’ailleurs, une ambiance décontractée et agréable, une ambiance de dimanche… J’avais reçu une heure de retour définie et des instructions strictes, ne me laissant aucune liberté pour partir explorer les alentours. Après la visite du marché, nous sommes donc restés au Rosebank Mall, encore un immense centre commercial. En Afrique du Sud, les centres commerciaux semblent être une institution, un incontournable, l’activité familiale par excellence. Même si je déteste le shopping, j’aime me promener dans les allées des centres commerciaux à l’étranger. Regarder les habitudes, les magasins, les gens. Voir les tendances, les différences et, principalement, les similitudes. Oui, tout est partout la même chose. Vive la mondialisation et les grandes chaînes commerciales. Là, on trouve les mêmes jouets, les mêmes gadgets, les mêmes ordinateurs, les mêmes vêtements, les mêmes chaussures, tout la même chose qu’ici. En plus grand. Quelques exceptions : les magasins de souvenirs. C’est troublant de faire des heures d’avion, de se sentir de l’autre côté de la planète, pour voir les mêmes enseignes et avoir les mêmes repères commerciaux.

De Johannesburg, je n’aurai vu que Rosebank et son centre commercial, la gare centrale et les quartiers traversés en voiture ou en train. Des quartiers chics aux townships traversés à toute vitesse. De loin, j’aurai vu la misère côtoyer la richesse. Les townships juste derrière les hauts murs des grosses villas privés. Et même si, la plupart de ces townships sont habités par une population noire, j’aurai vu sur les bords des routes des blancs comme des noirs errer hagards et en guenilles, mendier auprès des conducteurs, dormir à même le sol sur des cartons. J’aurai vu la misère toucher la population quelle que soit sa couleur de peau. J’aurai observé en passante la fracture sociale entre les riches et les pauvres. Je vous invite d’ailleurs à découvrir le fabuleux travail, Unequal Scenes, du photographe sud-africain Johnny Miller sur la fracture sociale urbanistique. Je regrette de ne pas avoir réussi à dépasser les peurs, à forcer les choses, pour me rendre dans les musées (notamment celui de l’Apartheid), visiter certains quartiers, ressentir la ville, en savoir un peu plus.

Destins…

Au cours de ces 6 semaines, j’ai pu vivre des moments privilégiés auprès d’une certaine communauté, une communauté blanche de la moyenne à haute bourgeoisie. J’ai partagé une partie de leur quotidien, de leurs fêtes, de leur histoire, de leurs habitudes. J’ai pu découvrir leur vision sur leur pays, tenté de comprendre leur point de vue, les peurs et espoirs qui les habitent aujourd’hui. J’ai vu une Afrique du Sud blanche tournée vers elle-même, préoccupée pour l’avenir de ses enfants en raison de la situation économique et sociale catastrophique. Suite à l’Apartheid, le gouvernement de l’ANC voulait redistribuer les richesses à ceux qui précédemment en étaient privés au travers du Black Economic Emporwement. L’idée était belle mais sa mise en place n’a apporté que peu d’améliorations pour les populations les plus pauvres et a créé une fuite des cerveaux. Cette loi se base sur des critères sociaux et raciaux pour le développement de l’économie et de l’emploi au lieu de s’appuyer avant tout sur les compétences et qualifications. J’y vois là, non pas une forme d’évolution vers une société égalitaire, mais une nouvelle forme de discrimination. Les inégalités persistent. Elles ne sont maintenant plus seulement raciales. Le système me semble très complexe et, si l’on suit l’actualité de l’Afrique du Sud, on constate qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Et ces efforts doivent se faire au niveau de l’accès à une éducation, à une instruction de qualité. Par ailleurs, lors de certaines de nos discussions avec les différentes personnes rencontrées lors de notre séjour, il semble que l’accès à l’emploi pour un homme blanc à compétences égales est très difficile. Le chômage touche de plus en plus cette population et n’ouvre que très peu de perspectives d’avenir pour les jeunes. Créer son entreprise reste alors pour eux une des solutions. Encore faut-il en avoir les moyens et correspondre aux attentes du BBBEE ! J’ai donc vu une Afrique du Sud blanche inquiète. Une Afrique du Sud qui ne se mélange pas. Ils vivent les uns à côté des autres. Se côtoient sans se mélanger. Je n’ai pas vu la nation arc-en-ciel si chère à Mandela. Les gens qui nous ont accueilli, qui ont partagé avec nous des moments d’intimité parfois, avec lesquels nous avons partagé des braai, qui nous ont raconté leur histoire et ouvert leur maison, se sentent et sont sud-africains. Ils y sont nés, y ont grandi, ont participé à la construction de ce pays, ils en sont fiers. Évoquez la vie pendant l’apartheid, leur opinion à ce sujet, n’était pas évident. Je n’ai eu que des bribes, des souvenirs de moments heureux mais aussi durs. Je n’ai pas réussi à briser le silence, à percer l’armure. « Les choses ont bien changé ! ». Et puis, il y a cette générosité, cette solidarité, cette responsabilité envers les autres, cet esprit de famille fort, ce lien puissant mais aussi ce fatalisme et cette tristesse. Lors de mes échanges, j’ai pu les ressentir, les vivre. Chacun m’a partagé au moins une histoire sombre, triste ou violente. Un enfant mort, une fille violée, un mari battu à mort, un père brutalisé lors d’un car-jacking, une maison brûlée, un emploi perdu et les dettes qui s’accumulent sans espoir d’en sortir… De ces histoires, j’en ai entendu beaucoup.

Enfermée dans cette maison, j’ai également passé beaucoup de temps à parler dans un mélange d’anglais et d’afrikaans avec l’employée du B&B, noire. D’ailleurs, la plupart des employées de maison, des jardiniers, des ouvriers, des serveurs, des caissières sont noirs. Logique me direz-vous dans un pays où les blancs sont minoritaires. Mais surprenant quand même, comme si rien n’avait changé depuis la fin de l’Apartheid. Les blancs habitent dans des maisons sécurisées, se déplacent dans de grosses voitures, emploient du personnel noir, n’empruntent jamais les transports publics, ne se déplacent pas à pied dans la rue et restent entre eux… En discutant avec Mina, jeune encore, déjà grand-mère, et dont le fils était mort, j’ai été marquée par son fatalisme, par l’acceptation de sa vie, de son sort, des événements qui lui sont arrivés et lui arrivent encore. Elle m’a parlé de sa famille, des endroits qu’elle voudrait visiter, de sa petite fille dont elle prend soin et qu’elle chérit mais qu’elle voit très peu car elle travaille 6 jours par semaine et a plus de deux heures de trajet par jour pour aller travailler. Elle rit beaucoup malgré tout, malgré ses yeux tristes. Elle prend soin de nous, ne se laisse pas prendre en photo et s’inquiète lorsque nous sortons de la maison. Elle m’apprend aussi à cuisiner des plats traditionnels dont la pap que nous prenions au petit-déjeuner, nous fait apprécier le maize meal et elle me regarde d’un air perplexe lorsque je prépare des salades ou les lunchs de Joël. Par contre, elle n’a jamais voulu évoquer sa vie pendant l’Apartheid changeant de sujet ou feignant de ne pas me comprendre. Pourquoi ? Je ne sais pas… Chacun doit avoir ses raisons pour taire ce passé. Peut-être que je n’avais pas la manière pour aborder cette question. Peut-être qu’elle souhaite aller de l’avant. De toute façon, comme elle dit, « What can we do ? Nothing, nothing ! » et « The past will not change. » Alors…

 

Bunny Park

Alors, on observe la vie. On discute de tout et rien. On accepte les invitations et les conseils de sortie. Ainsi, nous avons passé deux après-midi au Bunny Park, où s’ébat un nombre impressionnant de lapins. L’animal préféré de Sacha étant le lapin, autant vous dire qu’il était au paradis. Un parc aux allures désuètes, des lapins et autres animaux de la ferme, quelques aires de pique-nique et de barbecue et des attractions pour les enfants. Nous y avons croisé essentiellement des familles venues là pour pique-niquer ou fêter un anniversaire. Dans le passé, le parc devait être magnifique. Mais le temps a marqué son passage et le parc ne semble pas avoir été entretenu assidûment. Toutefois, nous y avons passé un bon moment à tenter d’apprivoiser les lapins et à tester les manèges. Les habitants et les visiteurs du parc ne viennent jamais les mains vides et apportent carottes, salades et autres légumes pour les animaux. Lors de notre visite, le parc était sur le point de fermer pour réaménagement. Je ne sais pas si le parc est à nouveau ouvert au public. En ce qui concerne les lapins, aux dernières nouvelles, certains ont été adoptés, d’autres donnés au Zoo de Johannesburg pour servir de nourriture aux animaux carnivores et quelques-uns stérilisés et gardés. Ce n’est pas un endroit touristique car il est loin des grands circuits traditionnels. Il est donc davantage fréquenté par les locaux.

Berceau de l’Humanité

Nous avons également passé une journée sur les traces des premiers hominidés en visitant le centre d’information du Cradle of Humankind (le berceau de l’Humanité) à Maropeng ainsi que les grottes de Sterkfontein. Le centre d’interprétation a été très bien conçu. Il est ludique, interactif et, surtout, il met en évidence que nous avons tous les mêmes gênes et les mêmes origines quelles que soient notre couleur de peau ou notre morphologie. Et, je trouve que prendre ce parti ici, en Afrique du Sud, est très important et symbolique. Un centre qui incite à la tolérance, à l’ouverture et à la solidarité en partant des origines jusqu’à aujourd’hui. Une plongée dans l’évolution amusante et enrichissante. Après la visite de Maropeng, nous reprenons la route en direction des grottes de Sterkfontein, un des grands sites archéologiques et préhistoriques d’Afrique du Sud où ont été retrouvés des fossiles d’hominidés aujourd’hui disparus. Bien que n’aimant pas particulièrement la spéléologie, j’aime plonger dans les entrailles de la terre pour découvrir toutes les merveilles qui se trouvent sous nos pieds. Je ne pouvais donc manquer les grottes de Sterkfontein, classées au Patrimoine mondial de l’Unesco. Habituées aux grottes européennes, je me demandais si ces grottes-ci allaient être plus vastes. L’Afrique, ce vaste continent, aux paysages somptueux, aux plaines immenses, aux forêts denses, son sous-sol offre-t-il aussi cette immensité ? Après une visite du petit musée reprenant l’histoire du site, nous entrons dans la grotte. Les salles sont vastes, certains passages sont étroits, le soleil pénètre à certains endroits et est source de vie… La grotte est belle, grande, elle renferme un grand lac mais elle reste familière. Cependant, elle est l’un des sites où l’on a retrouvé le plus de fossiles d’hominidés au monde. La visite de la grotte se fait en anglais et est racontée avec humour par le guide. Ces deux visites ont intéressés Sacha qui n’a cessé de poser des questions. Lors de cette journée, je n’ai pu m’empêcher d’imaginer ces premiers humains traversés ces grandes et vastes plaines pleines de danger. J’ai tenté d’imaginer les sentiments qui les habitaient alors qu’ils marchaient dans les hautes herbes, lorsqu’il entendaient les bruits dans la nature, le calme qui devait alors parfois régner.

Voir des lions et un guépard

En préparant notre voyage en Afrique du Sud, nous espérions visiter le parc Kruger. Toutefois, en raison des horaires de Joël, des possibilités réduites en raison de l’âge de Sacha et des tarifs, nous avons décidé de ne pas y aller. Notre hôte nous a alors proposé d’aller à la Rhino & Lion Nature Reserve. Pourquoi pas ! Nous y sommes donc allés en fin de journée. Il s’agit d’une réserve dans laquelle on retrouve tous les animaux emblématiques de la savane, à l’exception des éléphants. La réserve a pour vocation également de recueillir des orphelins et de préserver les espèces en danger. Ann, notre hôte, nous emmène d’abord visiter la crèche où il est possible d’entrer dans les enclos des lionceaux. Nous croisons des cigognes (que nous avons plutôt l’habitude de voir en Alsace), un marabout (un oiseau au look étrange que je n’avais jamais vu), un bébé rhinocéros et un bébé guépard. Je me sens comme dans un rêve. Ici, la ferme des animaux est remplie d’animaux sauvages de la savane. Malgré tout, je ressens comme une gêne en voyant ces animaux enfermés. Ne sont-ils pas mieux à l’extérieur et libres ? J’ai l’impression qu’en Afrique du Sud l’espace réservé aux animaux sauvages a été réduits et, surtout, ils semblent tous avoir été placés dans des réserves plus ou moins grandes. Mis à part quelques singes et quelques herbivores, il est extrêmement rare de rencontrer des animaux libres dans les campagnes du Gauteng ou les montagnes du Drakensberg. Après la visite de la crèche et avoir caressé les lionceaux, nous sommes partis en « safari » sur les pistes de la réserve. Là, tous les herbivores sont en liberté. On y croise des gnous, des zèbres, des phacochères, des gazelles et autres animaux… On entre ensuite dans les différents enclos réservés aux prédateurs. Les enclos sont très grands mais il s’agit tout de même d’enclos et je ressens encore une fois un malaise. Je suis très sensible à tout ce qui enferme tant les animaux que les humains. Toutefois, ce malaise est contrebalancé par l’excitation de voir ces animaux qui me font rêver depuis mon enfance. Je crois que Joël et moi sommes bien plus enthousiastes et excités que Sacha qui semble plus intéressés par les pistes et les 4×4. Nous ne verrons pas de hyènes ni de chiens sauvages ni de lions bruns. Par contre, nous aurons la très grande chance d’apercevoir des lions blancs couchés dans les hautes herbes et totalement indifférents à notre présence mais aussi de nous arrêter en face d’un guépard étendu de tout son long au milieu de la piste et ne semblant pas vouloir bouger. Des minutes extraordinaires. J’en avais des étoiles pleins les yeux et elles me reviennent rien qu’en écrivant ce moment. Puis, le guépard décide enfin de bouger. Il se lève doucement, s’étire et s’en va lentement dans les hautes herbes sans même nous regarder. La journée s’achève, nous regagnons la sortie en continuant à nous émerveiller devant tous ces animaux. Nous n’y serons restés que quelques heures alors que nous aurions aimé prendre notre temps et y rester toute la journée.

Pique-nique au jardin botanique

Enfin, pour fêter la fin de notre séjour à Benoni, nos hôtes nous ont invités pour une journée aux Walter Sisulu National Botanical Gardens pour un pique-nique en famille et admirer la cascade de Witpoortjie. Un dimanche presque parfait. Un pique-nique à l’ombre des arbres sur les pelouses du jardin botanique, en contre-bas coule une rivière, à une centaine de mètres la cascade et juste à côté, derrière les plantes, une belle aire de jeux pour les enfants. En ce beau dimanche de fin d’été, il y a du monde et pourtant on ne se sent pas les uns sur les autres. Chacun a son espace. On se détend, on joue, on parle, on rigole. Nous prenons le temps, nous allons admirer la cascade et faire une photo à trois devant et puis empruntons le sentier géologique qui nous amène au sommet de la cascade. La vue est bouchée par la végétation mais il y règne un calme serein. Nous sommes seuls là-haut et c’est bon. Nous nous promenons également dans les jardins. Tout est beau, tout est joyeux, tout est organisé. Mais là, comme ailleurs, on constate clairement les inégalités. Des porteurs noirs payés quelques rands pour amener tous les éléments du pique-nique à l’emplacement choisi, des promeneurs en majorité blancs. Est-ce que cela changera un jour ? Il faut certainement beaucoup de temps pour arriver à retrouver un équilibre.

6 semaines et des tas de questions

Ces 6 semaines à Benoni ont été très calmes et familiales, empreintes d’un certain inconfort moral et tellement interpellantes. Le malaise ressenti dès le premier jour ne m’a jamais quittée. Toutefois, la suite de notre voyage nous permettra d’avoir un autre regard, d’ouvrir nos horizons, de confronter notre expérience ici, à Benoni, à d’autres lieux même si ce regard sera alors celui de touristes de passage. Mais les questions restent. Comment vivre en harmonie dans un pays marqué par la violence et les inégalités ? Comment se faire à nouveau confiance ? Comment se tendre la main sans se mettre de poignards dans le dos ? Comment pardonner ? Comment se pardonner ? Comment réparer ? Comment ne pas reproduire cette discrimination raciale à l’inverse ? Comment éviter les rancœurs  et les frustrations ? Est-ce que tout doit reposer sur les épaules des jeunes générations ? Ne doit-on pas changer les mentalités ? Comment ? Les lois ne suffiront pas. Alors… La situation semble tellement complexe, presque inextricable. Il faut peut-être simplement faire confiance, avoir foi en l’avenir et mettre en évidence tous les projets qui tentent d’offrir un avenir plus serein à chacun. Si l’avenir de l’Afrique du Sud ne m’avait jamais vraiment concernée, aujourd’hui je suis curieuse de voir comment le pays va se construire. Réparer les inégalités, sortir de la corruption qui a pourri l’état, développer économiquement le pays et créer une nation où chacun a sa place.

Je n’y ai passé que 6 semaines. 6 semaines particulières puisque encadrées par une famille. Alors, si vous avez eu la chance de vivre dans ce pays, si vous y avez de la famille, je serais heureuse de connaître vos impressions, votre sentiment, vos espérances. N’hésitez pas à compléter ces propos, à les nuancer ou à apporter votre expérience.

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